Le président afghan Ashraf Ghani et Gulbuddin Hekmatyar (au centre) au palais présidentiel de Kaboul, le 4 mai. | POOL / REUTERS

Un seigneur de guerre afghan dépose les armes. Gulbuddin Hekmatyar a été accueilli en grande pompe au palais présidentiel, jeudi 4 mai, pour sceller un accord de paix signé en septembre 2016. « Peu de gens croient aux efforts de paix, et pourtant cette journée démontre clairement à tous qu’avec une volonté sincère la paix peut être atteinte », a déclaré celui qui fut tour à tour l’un des principaux moudjahidin antisoviétiques, éphémère premier ministre, ennemi du commandant Massoud, chef tadjik du Panchir, et enfin adversaire de l’OTAN en Afghanistan. Il est le premier insurgé de poids à signer la paix avec Kaboul depuis l’invasion des troupes occidentales en 2001.

A 69 ans, M. Hekmatyar, fine barbe blanche et turban noir, n’a pas pour autant perdu ses habitudes de seigneur de guerre. Après vingt ans d’absence, il est revenu dans la capitale escorté par un convoi de près de 200 véhicules bardés de mitrailleuses, et par plusieurs hélicoptères. Si les drapeaux verts à l’effigie de son parti, le Hezb-e-Islami Gulbuddin (HIG), l’ont accueilli à son arrivée, des portraits de lui ont également été recouverts de boue. M. Hekmatyar a, en effet, laissé un souvenir pour le moins mitigé dans la capitale afghane.

Surnommé « le boucher de Kaboul », il bombarda sans merci la ville entre 1992 et 1996, détruisant le tiers des quartiers et tuant des dizaines de milliers d’habitants. Il est également accusé d’avoir assassiné des journalistes, des intellectuels, des défenseurs des droits des femmes, et d’avoir mis en place des chambres de torture au Pakistan. L’organisation Human Rights Watch (HRW) a dénoncé, dans cet accord de paix, une « culture d’impunité » entretenue par le gouvernement afghan et les bailleurs internationaux.

« Guerre fratricide »

Il a fallu plus de six ans pour parvenir à un accord. Le gouvernement s’est engagé à libérer des prisonniers du HIG, à fournir des logements aux milliers de ses sympathisants réfugiés au Pakistan, et à garantir l’immunité à leur chef pour ses crimes passés, en échange de sa reconnaissance de la Constitution du pays et de l’abandon de la lutte armée. « Cet accord de paix est l’aboutissement d’un rêve d’une dizaine d’années, confie au Monde son conseiller, Amin Karim, celui de voir des négociations exclusivement afghanes aboutir entre le gouvernement et les insurgés, et surtout la preuve que la méthode forte, la guerre, ne fonctionne pas. »

Kaboul n’a pas lésiné sur les concessions, alors que de nombreux membres du HIG avaient déjà rallié le gouvernement, certains cadres devenant même ministres, et que son poids militaire était devenu négligeable. Mais c’est un signal adressé aux talibans, certains, qui ont parfois combattu au sein du HIG, pouvant être tentés d’emprunter le même chemin – même si rien n’est moins sûr, à l’heure où les talibans gagnent du terrain et semblent privilégier une victoire militaire. « Nous sommes dans tous les villages où sont présents les talibans ; or, le message que nous voulons transmettre, c’est que le conflit afghan n’est plus une guerre contre l’occupant mais une guerre fratricide qui n’a plus lieu d’être », plaide Amin Karim.

Changements d’alliances

Seuls cinquante prisonniers du HIG ont été libérés à ce jour, et l’accueil des milliers de sympathisants à Kaboul, qui doit déjà absorber les réfugiés afghans expulsés du Pakistan ou d’Europe, s’annonce compliqué. La réintégration des ex-combattants dans l’armée afghane doit aussi être encore discutée. La prudence s’impose, enfin, à l’égard de M. Hekmatyar, qui a multiplié les changements d’alliances au cours de sa longue carrière et qui fut, de manière constante, le relais des intérêts pakistanais dans la région.

Son retour risque de perturber les fragiles équilibres politiques afghans. Il s’est toujours présenté comme le « Saladin » de l’ethnie pachtoune, sa force unificatrice et protectrice, face à la minorité chiite des Hazara ou aux rivaux du Jamiat-e-Islami, le parti dont est issu le chef de l’exécutif Abdullah Abdullah. « L’hostilité d’Hekmatyar pourrait déclencher une réaction violente du Jamiat, une force politique encore puissante en Afghanistan » – que le commandant Massoud a dirigée –, prévient Borhan Osman, analyste au centre d’études Afghanistan Analysts Network (AAN), basé à Kaboul.