Boeing a jeté un pavé dans la mare d’un important marché public, en Belgique : la société américaine a annoncé, le 19 avril, le retrait de son avion de chasse F/A-18 Super Hornet de la course en vue du remplacement des F-16 de la Force aérienne belge. De quoi semer le doute sur les conditions de cet appel d’offres très disputé.

Le royaume veut acquérir, d’ici à 2023, 34 nouveaux chasseurs bombardiers pour remplacer progressivement ses F-16 de Lockheed Martin, acquis en 1975. Le contrat est estimé à quelque 3,5 milliards d’euros, et 15 milliards au total en tenant compte de l’entretien, de l’entraînement des pilotes, des remises à niveau techniques, etc.

Des règles « pas véritablement équitables »

Boeing a diffusé son communiqué avant que le gouvernement belge ne soit officiellement informé. Le texte évoquait des règles du jeu qui ne seraient « pas véritablement équitables » et une compétition « pas pleine et ouverte ». L’opposition socialiste et écologiste a, elle, dénoncé, au parlement, un manque de transparence et remis en cause l’utilité stratégique du projet. Elle a regretté également l’absence d’une « vision stratégique européenne » qui permettrait de mutualiser les achats de tels matériels. Le gouvernement du libéral Charles Michel défend toutefois la nécessité de conserver une force de chasse et de bombardement autonome, intervenue en Afghanistan et en Libye au cours des dernières années et actuellement en action en Irak.

Mauvaise foi de Boeing, préparation des esprits à un échec ? Le F/A-18 Super Hornet, un appareil vieillissant que le constructeur américain assure toutefois pouvoir moderniser, ne partait pas favori dans une course rassemblant quatre autres prétendants : le Rafale de Dassault, le Typhoon du consortium européen Eurofighter (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne), le Gripen du suédois Saab et le F-35 de l’américain Lockheed Martin.

Ce dernier semble, depuis le début, être le favori. Son choix est défendu par les pilotes belges, qui le considèrent comme le plus performant, comme par l’état-major. Les rivaux de Lockheed parlent, dès lors, sous le couvert de l’anonymat, d’un appel d’offres qui aurait été « rédigé sur mesure » pour leur concurrent. Même si le F-35 est le plus coûteux (de 91 à 115 millions d’euros l’unité contre, par exemple, 75 millions pour le Rafale et 70 pour le Gripen) et même s’il connaît toujours des difficultés techniques conduisant à s’interroger sur sa fiabilité.

Ogives nucléaires

Le choix de Lockheed a été jusqu’ici largement soutenu par les Etats-Unis – le marché sera conclu d’Etat à Etat – même si le gouvernement du président Donald Trump, estimant que les coûts du F-35 sont prohibitifs, paraît vouloir privilégier à l’avenir le chasseur bombardier de Boeing pour l’armée américaine.

Lockheed possède d’autres avantages sur ses trois concurrents. Son appareil est déjà utilisé, ou commandé, par d’autres pays de l’OTAN (Etats-Unis, Canada, Turquie) ou de l’Union européenne (Italie, Pays-Bas, Danemark), ce qui répond à l’un des objectifs de la Belgique : utiliser aisément ses appareils dans le cadre de missions conduites par les deux organisations. Le Super Hornet n’est, lui, utilisé qu’en Finlande, en Suisse et en Espagne.

Un autre élément, discrètement inclus dans le cahier des charges, pourrait s’avérer déterminant : des ogives nucléaires américaines sont entreposées en Belgique et Washington exige que ces armes ne soient, le cas échéant, transportées que par des appareils « made in USA ». La Belgique pourrait-elle renoncer à son engagement de transporter de telles charges ? Elle ne l’a pas précisé jusqu’ici.

Retombées économiques

Les concurrents européens du F-35 seront, en tout cas, obligés de jouer sur les retombées économiques s’ils veulent emporter un marché dont la défense assure qu’il sera totalement régulier – le ministre Steven Vandeput refuserait notamment de recevoir des lobbyistes. Sur ce terrain, Dassault paraît favori. Il possède notamment une filiale à Charleroi, la Sabca, qui pourrait amplement bénéficier d’une vente du Rafale.

Equilibre entre les régions oblige, la Flandre veillera toutefois à ce que la conclusion du marché lui soit aussi bénéfique. Elle pourra, pour cela, compter sur un ministre membre du parti nationaliste Alliance néoflamande (N-VA).