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La « séquence » de l’entre-deux-tours présidentiel a connu, comme une série télévisée, des épisodes attendus (les meetings, le débat, les sondages, les nuées de fausses infos) et d’autres, écrits un peu plus nerveusement (comme le S01E12 à l’usine Whirlpool).

Des thématiques l’ont traversée, en filigrane, certaines occupant un espace considérable dans les médias ou dans les discussions entre amis, en famille ou entre inconnus politisés, en terrasse : le vote blanc ou l’abstention sont-ils des choix défendables avec la présence du FN ? Est-ce que voter a encore un sens quand on se sent écrasé par le vote utile ?

Ces discussions sont sans fin, qu’elles aient lieu dans la « vie réelle » ou sur des fils Facebook. Elles ont néanmoins contribué à l’émergence de plusieurs initiatives en ligne, sous la forme de pétitions ou de hashtags rassembleurs. Contrairement à des premières réactions à chaud, elles sont un peu plus structurées, dans l’optique de durer au-delà du 8 mai.

Certaines peuvent paraître un peu utopiques, voire naïves. Toutes s’adressent aux électeurs indécis ou décidés à ne pas voter – les mélenchonistes qui refusent de choisir, les écolos dépités, les centristes pas rassurés, les adeptes du vote blanc – et épousent une même dynamique : voter au second tour, d’accord, mais faire comprendre – aux médias, au candidat que tous les sondages donnent vainqueur – qu’on le fait à contrecœur. Il s’agit moins de contourner le vote utile que d’essayer de le hacker, tenter de peser politiquement sans attendre le prochain rendez-vous dans le calendrier électoral.

Si aucune de ces initiatives ne peut être qualifiée de massive dans l’intérêt qu’elle suscite, deux d’entre elles sortent du lot.

Un premier bulletin d’obligation, un deuxième « de conviction »

L’opération « Deuxième bulletin » est une idée de l’organisation OPEN France et d’Elliot Lepers, ancien militant écologiste habitué à ce genre d’actions numériques. Sous la présidence Hollande, il avait été l’un des initiateurs du « contre-référendum de la gauche » contre la loi travail.

Ici, l’abstention n’est pas justifiée. Le vote au second tour doit aller à Emmanuel Macron car il « permettra d’éviter que Marine Le Pen et son programme dangereux n’arrivent au pouvoir ».

Mais pour qu’Emmanuel Macron n’oublie pas qu’il reste un « opposant politique » pour une partie de l’électorat de gauche, « on a donc imaginé un deuxième bulletin (…) ; il est là pour dire que ça ne fait que commencer. »

Sur ce bulletin virtuel, celui de la « conviction », on coche des cases pour demander au possible futur président de donner la priorité à des thèmes très précis (« le droit du travail n’est pas réformé par ordonnance #loitravailnonmerci »), absents du débat politique (« la lutte contre les changements climatiques et pour la sauvegarde de la biodiversité est prioritaire ») ou un peu plus utopiques (« la vie politique se protège des intérêts économiques, et où les élus sont exemplaires »).

Au dernier jour officiel de la campagne, les promoteurs de cette initiative comptabilisent un peu plus de 11 300 « deuxièmes bulletins » envoyés au QG d’En Marche !. On ne sait pas si les équipes d’Emmanuel Macron comptent y répondre.

Hacker les chiffres de la participation

Emmanuel Foudrot / REUTERS

Une autre façon imaginée pour « bloquer Le Pen sans soutenir Macron » est de retarder le plus possible son passage dans l’isoloir afin que le niveau d’abstention reste élevé jusqu’au dernier moment de la journée du vote. Le but de cette initiative est décrit dans un post de blog mis en ligne sur Mediapart le 26 avril :

« Attendez la fin de la journée pour vous rendre dans les bureaux de vote. Ainsi, les chiffres de la participation à 12 heures et à 17 heures seront historiquement bas et seront la manifestation d’un cri de colère de tous les citoyens qui ne veulent pas du FN, mais n’adhèrent pas au projet de M. Macron. »

Le texte a reçu quelques commentaires élogieux, d’autres moins, et a assez circulé pour engendrer une pétition défendant la même ligne : aller voter le plus tard possible pour faire comprendre à Emmanuel Macron qu’il ne gagnera pas qu’avec des votes d’adhésion.

« Ce texte n’est ni un appel à voter Macron, ni à s’abstenir », écrivent les auteurs de la pétition« Ben et Lou, simples citoyens, prof d’histoire, ingénieure (...) affiliés à aucun parti mais engagés localement dans la vie citoyenne et associative »qui ne savaient pas pour qui voter au second tour. Ils expliquent leur démarche et la partagent sous le nom Entends ma voix :

« En allant voter après 17 heures, nous pouvons faire en sorte que notre opposition soit entendue et comptabilisée à travers les différents niveaux d’abstention au cours de la journée. Cette idée peut paraître simple, mais elle pourrait permettre de donner plus de sens à notre pouvoir d’expression par le vote tout en utilisant le système actuel. »

Le pari de ce court-circuitage est de profiter de la couverture médiatique en temps réel de la journée électorale (où tout le monde meuble en attendant les chiffres de la participation) pour faire passer un message fort et laisser une trace dans l’histoire.

La participation à l'élection présidentielle depuis 2002

Taux de participation à la mi-journée, à 17 heures et à la clôture des bureaux de vote

Il faudrait une adhésion assez importante à cette démarche pour espérer créer une anomalie qui ait une signification politique. Vendredi en fin de matinée, environ 53 500 personnes avaient signé la pétition, averties par le hashtag #Après17h qui circule sur les réseaux, autant que par les différents articles de presse qui parlent du hashtag en question.

Interrogé par l’AFP, Jérémie Moualek, chercheur en sociologie politique à l’université d’Evry-Val-d’Essonne, pense que ces « tactiques » attirent pour l’instant « une minorité d’individus très politisés », ce que les chiffres tendraient à corroborer. Même il reconnaît que ce phénomène – aller aux urnes tout en faisant savoir que ce n’est pas assez – « augmente ». Il a pris une dimension plus collaborative, virtuelle et organique qu’en 2002, quand les électeurs de gauche mettaient littéralement des gants et des pinces à linge sur le nez pour aller voter Chirac.