Editorial du « Monde ». Tout s’est passé comme prévu, sans surprise. Alger s’est réveillée, vendredi 5 mai, toujours aussi blanche, toujours dirigée par un président fantôme. Et toujours en proie à un sentiment de désillusion et de lassitude à l’égard du pouvoir en place. Celui-ci assure, certes, la stabilité, mais reste en quête de vraie légitimité tant il déçoit une population jeune, frondeuse et admirable de débrouillardise dans l’adversité quotidienne.

Les élections législatives du 4 mai n’ont pas changé cette donne politique malsaine. Le taux de participation (38 %) a encore diminué par rapport au scrutin de 2012 (43 %), en dépit de la campagne lancée par le gouvernement pour inciter les 23 millions d’électeurs (sur 36,5 millions d’habitants) à aller aux urnes. Les 462 sièges de l’Assemblée nationale populaire (ANP) étaient à pourvoir. La coalition au pouvoir reste majoritaire – une alliance entre le Front de libération nationale (FLN, aux commandes depuis l’indépendance en 1962) et le Rassemblement national démocratique (RND). L’opposition reste très diverse (plusieurs partis islamistes, qui stagnent, côtoyant des partis laïcs) et très divisée.

Les plus critiques des Algériens parlent de mascarade : l’ANP n’a guère de pouvoir. Les autres disent ne plus attendre grand-chose d’une classe dirigeante souvent corrompue et au fonctionnement résolument opaque. Elu il y a dix-huit ans, le président Abdelaziz Bouteflika est quasiment invisible depuis l’accident vasculaire cérébral qui l’a frappé en 2013. Alger gouverne à coups de subventions puisées dans des réserves, que la baisse du prix des hydrocarbures a singulièrement amincies, malgré une légère remontée depuis un an. L’économie, toujours fondée sur la rente pétrolière et gazière, est en mal de diversification. Inflation et chômage sont élevés. L’exil (Europe, Canada) reste l’unique choix de nombreux jeunes Algériens.

C’est d’eux et des associations de la société civile qu’est venue la surprise de la campagne. Ils se sont emparés des réseaux sociaux pour tourner le pouvoir en dérision, dénoncer les détournements, stigmatiser les carences des services publics. Ils ont incarné une opposition talentueuse qui manie l’humour, la comédie, la musique pour manifester un ras-le-bol croissant devant l’immobilisme politique, la monopolisation du pouvoir par une caste en place depuis des années et l’incompétence de l’Etat.

La coalition majoritaire évolue : le FLN perd 51 députés et totalise désormais 164 sièges; en revanche, le RND en gagne 27 passant de 70 à 97. Sans doute est-il trop tôt pour interpréter ce nouvel équilibre au sein des groupes qui se partagent le pouvoir. Le prochain gouvernement sera confronté à une situation difficile. Outre l’économie, l’environnement régional reste instable. L’Algérie doit gérer à ses frontières sud ce mélange de djihadisme et de gangstérisme qui mine l’Afrique sahélienne.

Mais, in fine, ce scrutin montre que, d’une élection à l’autre, le pouvoir algérien est incapable de se renouveler. Il est figé, toujours aux mains des mêmes clans, qui se succèdent à la tête de l’exécutif et de l’économie. Il donne le sentiment d’un bloc d’immobilisme, indifférent aux attentes d’une population.