Quelques dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue samedi 6 mai à Varsovie pour protester contre le pouvoir conservateur de Jaroslaw Kaczynski. | JANEK SKARZYNSKI / AFP

En réunissant près de 90 000 personnes pour une « marche de la liberté », samedi 6 mai, à Varsovie, l’opposition polonaise a réussi son pari : montrer qu’un an et demi après l’arrivée au pouvoir des ultraconservateurs du PiS (Droit et Justice), la société civile est toujours prête à se mobiliser pour dénoncer les « atteintes à l’État de droit » du parti de Jaroslaw Kaczynski.

L’initiative n’était pas gagnée d’avance. Les différentes composantes de l’opposition libérale ont entamé l’année 2016 en crise, en proie aux divisions et à l’image ternie par une affaire de conflit d’intérêts de l’icône du Comité de défense de la démocratie (KOD), Mateusz Kijowski. Ce dernier était d’ailleurs le grand absent des tribunes de la manifestation, où les leaders de la Plate-forme Civique (PO – centre droit) étaient à la manœuvre, confortés par leur récente percée dans les sondages, dans lesquels ils ont dépassé pour la première fois le parti au pouvoir (31 % d’intention de vote contre 29 %).

Jeunesse absente

Samedi, par un début d’après-midi ensoleillé, les drapeaux polonais côtoyaient les drapeaux européens, et l’hymne national était chanté de vive voix par des manifestants survoltés. Adam Gardzikowski, un ingénieur de 54 ans, brandit fièrement le drapeau à douze étoiles, qui est pour lui un « synonyme de liberté. » « L’adhésion à l’UE, ça a été la concrétisation d’un rêve de plusieurs générations de Polonais, confie-t-il. Ce pouvoir détruit tout ce que nous avons si bien construit depuis 25 ans, aussi bien d’un point de vue politique qu’économique. Il nous isole au sein de l’UE, et fait un premier pas vers la sortie de la Pologne. »

Comme lors de la plupart des manifestations de l’opposition, la jeunesse semble être la grande absente du rassemblement. « Je me souviens de l’époque où les frontières étaient fermées, ajoute Adam. Les jeunes n’ont pas connu ces temps-là, c’est sans doute pour ça qu’ils sont aujourd’hui trop peu nombreux. Ils ne savent pas ce qu’ils ont à perdre. »

Janina Pekala, retraitée, est présente à toutes les manifestations « depuis que le pouvoir a commencé sa démolition de la démocratie. » « J’ai connu les temps communistes et je ne veux pas d’un système qui y ressemble pour mes petits enfants » précise-t-elle.

« Il est vrai que l’opposition a été longtemps inaudible, elle peinait à se retrouver face aux excès du pouvoir. Mais depuis un moment, j’ai l’impression qu’elle se réveille, qu’elle est de plus en plus crédible. »

Opposition libérale

Chez les manifestants, les références à l’époque communiste sont récurrentes. Après avoir mis sous tutelle le tribunal constitutionnel, la plus haute instance juridique du pays, la majorité ultraconservatrice s’est retrouvée sur le coup d’une procédure de « sauvegarde de l’Etat de droit » initiée par la Commission européenne. Le 3 mai, le président Andrzej Duda a annoncé qu’il souhaitait organiser d’ici fin 2018 un référendum en vue d’un changement de constitution.

« La politique menée actuellement, c’est un retour vers le communisme, affirme Artur Kolcz, un avocat de 49 ans, venu spécialement de Torun, à 250 km de Varsovie. La séparation des pouvoirs est menacée, les libertés civiques aussi. Jaroslaw Kaczynski créé un état tribal dont il est le chef, où il prend toutes les décisions sans en avoir la responsabilité, en étant un simple député. C’est le pouvoir d’un seul homme, c’est le plus grand danger. » Auparavant, Artur n’a jamais été engagé dans des mouvements politiques, mais, il a « pris peur de ce pouvoir » et a décidé de « sortir de son canapé. » « Depuis un an et demi, je suis de toutes les manifestations. »

Toutes les composantes de l’opposition libérale étaient présentes samedi, et de nombreux manifestants ont fait le déplacement depuis la province. Les syndicats de professeurs sont pour leur part venus manifester pour « une école libre de toute idéologie », alors que la majorité concrétise une réforme controversée de l’éducation. Une pétition pour un référendum sur ce texte a recueilli plus de 900 000 signatures, que le gouvernement a décidé de ne pas prendre en compte.

Pour Malgorzata Nowak, 38 ans, « ce pouvoir est aussi une menace pour les droits des femmes. »

« Il veut toujours durcir l’actuelle législation sur l’avortement [une des plus restrictive d’Europe], qui semble pourtant un compromis optimal dans notre pays de mentalité catholique. Il liquide le remboursement de la fécondation in vitro, combat les méthodes de contraceptions. »

Pour de nombreux manifestants, la lutte contre la majorité est aussi un combat « pour le droit des minorités. »

Le même jour, depuis la ville de Szczecin, l’homme fort du pays, Jaroslaw Kaczynski s’est adressé aux manifestants de la « marche de la liberté ». « Aujourd’hui, ce sont des temps de liberté, a-t-il martelé. Je veux que vous sachiez, qu’en participant à cette marche, en affirmant que la liberté est menacée, vous allez en somme dans la direction opposée à celle que vous pensez. »