Marine Le Pen, le 4 mai, à Dol-de-Bretagne. | STEPHANE MAHE / REUTERS

Depuis deux semaines, fini l’ambiance karaoké. Malgré la déception d’avoir fini à la deuxième place derrière Emmanuel Macron avec 21 % des voix, Marine Le Pen avait d’abord fêté avec les militants du Front national (FN) ses résultats au premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 23 avril au soir, à l’intérieur de l’espace François-Mitterrand de Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).

Puis, la candidate d’extrême droite s’est remise en campagne. Avec un objectif en tête : essayer d’élargir son électorat avant le second tour, dimanche 7 mai, face à un Emmanuel Macron toujours favori des sondages. Et ce, alors que le Parlement européen entend toujours lever l’immunité parlementaire de l’eurodéputée, soupçonnée d’avoir financé son parti grâce à des emplois fictifs d’assistant parlementaire.

Le FN rattrapé par sa rhétorique négationniste

Dès le lendemain du premier tour, Marine Le Pen se met en congé de la présidence du Front national pour mieux se consacrer à l’élection. Problème : quelques heures après la nomination de Jean-François Jalkh au titre de président du FN par intérim, mardi 25 avril, un journaliste de La Croix exhume des propos tenus par M. Jalkh en 2000 lors d’un entretien avec une universitaire. Au cours de cette interview, reproduite dans un article publié cinq ans plus tard, le frontiste aurait émis des doutes sur la réalité des chambres à gaz.

Ces propos ravivent aujourd’hui une rhétorique négationniste dont Marine Le Pen essaye de débarrasser le FN depuis qu’elle a remplacé son père Jean-Marie à la présidence, en 2011. Pris en défaut, Jean-François Jalkh a quitté sa fonction de président par intérim dès le 28 avril. « Il veut se défendre et déposer plainte », déclare le vice-président du FN, Louis Aliot, sur le plateau de BFMTV et RMC. M. Jalkh a été remplacé sur-le-champ par le maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, qui fait pourtant l’objet d’une enquête après des messages haineux sur Facebook à l’encontre du maire de Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon.

A Amiens, la bataille de l’image

Pour cet entre-deux-tours, Marine Le Pen s’est trouvé un nouveau slogan (« Choisir la France ») et une nouvelle affiche électorale : on y voit la dirigeante frontiste à son bureau, sur fond de bibliothèque, en veste bleue et jupe noire, mise en scène qui rappelle les photos officielles des présidents de la Ve République. Mais, pour la fille de Jean-Marie Le Pen, la « guerre des images » de l’entre-deux-tours commence réellement avec son déplacement à l’usine Whirlpool d’Amiens en même temps qu’Emmanuel Macron, mercredi 26 avril.

Ou plutôt, juste avant : la candidate du Front national se présente en visite surprise sur le parking de l’usine vers 13 heures, sous les vivats des salariés grévistes, avec qui elle prend des « selfies » pendant une vingtaine de minutes. Au même moment, dans la même ville, M. Macron rencontre l’intersyndicale de Whirlpool à la chambre de commerce de la Somme. Il avait prévu de se rendre sur le site de Whirlpool vers 14 h 30. A son arrivée, il fait l’objet de sifflets.

Piquet de grève à l’usine Whirlpool d’Amiens, le 26 avril 2017. | PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Le 27 avril, Marine Le Pen se livre de nouveau à un exercice de communication. Au Grau-du-Roi (Gard), en ciré, la députée européenne prend la pose à bord d’un chalutier appartenant à un ancien candidat FN aux élections régionales de 2015. A ses côtés, le député du Gard (Rassemblement bleu Marine), Gilbert Collard, apparaît bonnet bleu sur la tête et pipe à la main. Pour balayer les critiques sur cette mise en scène, Mme Le Pen répond :

M. Macron est suivi en toutes circonstances par 2 000 journalistes. Je n’ai pas de leçons à recevoir de M. Macron dans ce domaine.

Le ralliement soudain de Dupont-Aignan

En 2002, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle s’était heurtée à un « front républicain » : Jacques Chirac avait obtenu 82 % des voix au second tour grâce aux électeurs, tous partis confondus, désireux de faire barrage à l’extrême droite. Quinze ans plus tard, sa fille bénéficie d’une situation moins défavorable. A l’instar du mouvement La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, certaines formations refusent d’appeler à voter pour Macron contre Le Pen.

Depuis le 28 avril, Marine Le Pen peut même compter sur un ralliement. Celui de Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France (DLF), qui a obtenu 4,9 % des voix au premier tour de l’élection. Au « 20 heures » de France 2, le souverainiste de droite annonce qu’il soutiendra la candidate d’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle. Auparavant membre du RPR et de l’UMP, gaulliste autoproclamé, Nicolas Dupont-Aignan avait jusque-là estimé « incompatibles » le Front national et Debout la France.

Nicolas Dupont-Aignan et Marine le Pen, le 29 avril 2017, à Paris. | LAURENCE GEAI POUR LE MONDE

En contrepartie, après la signature d’un accord de gouvernement, Marine Le Pen promet dès le lendemain qu’elle fera de Nicolas Dupont-Aignan son premier ministre si elle est élue. Selon certaines sources au sein des deux formations, le rapprochement entre le FN et DLF prévoit de laisser le champ libre à chaque partenaire dans plusieurs dizaines de circonscriptions.

« Debout la France déposera des candidatures dans plus de 525 circonscriptions », assure M. Dupont-Aignan, sur RMC, le 1er mai. Le même jour, le souverainiste prononce également le discours d’introduction du dernier grand meeting de campagne de Marine Le Pen, au Parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis).

Plagiat de Fillon et appel aux mélenchonistes

Lundi 1er mai. Comme l’a révélé le compte Twitter filloniste « Ridicule TV », Mme Le Pen reproduit, lors de ce meeting, des pans entiers d’un discours prononcé le 15 avril par François Fillon, le candidat du parti Les Républicains, éliminé dès le premier tour de la présidentielle, qui s’était exprimé sur la langue française et la francophonie. A posteriori, Marine Le Pen invoque un simple « clin d’œil » destiné aux fillonistes.

Outre ce plagiat, le fait est que la dirigeante du Front national a surtout profité de ce rassemblement pour lancer un appel explicite aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon (19,58 % des voix au premier tour). La dirigeante d’extrême droite demande désormais à cet électorat de gauche de se tourner vers elle. Ou, à tout le moins, de choisir l’abstention plutôt qu’un vote en faveur d’Emmanuel Macron.

Marine Le Pen, le 1er mai 2017, à Villepinte. | LAURENCE GEAI POUR LE MONDE

« Le 7 mai, je vous appelle à faire barrage à la finance, à l’arrogance, à l’argent roi, lance la fille de Jean-Marie Le Pen à propos de l’ancien banquier d’affaires de chez Rothschild. Avec moi, non seulement le monde de la finance ne s’emparera pas de l’Elysée, mais il cessera de gouverner. » Comme un écho au discours du Bourget prononcé par François Hollande, en janvier 2012, lorsque le candidat du Parti socialiste à la précédente élection présidentielle désignait « le monde de la finance » comme son « adversaire ».

La dirigeante frontiste avait déjà usé de cette même rhétorique pour son premier meeting de l’entre-deux-tours, jeudi 27 avril, au Palais Nikaia de Nice. Dans l’assistance, plusieurs centaines de personnes parmi les 4 000 criaient avant le début de son discours : « Macron, Macron, on t’encule ! »

Flottements sur l’euro et la retraite

Chez Marine Le Pen, la campagne de l’entre-deux-tours aura donné lieu à plusieurs revirements. Son accord de gouvernement avec Nicolas Dupont-Aignan précise que la sortie de l’euro n’est « pas un préalable à toute politique économique ». Or, en mars 2016, Florian Philippot, vice-président du FN, promettait pourtant : « Si nous arrivons au pouvoir, il est certain que, au bout de six mois, la France a une monnaie nationale. »

Autre revirement, la candidate FN a affirmé que « le retour à l’emploi » serait nécessaire pour rendre effective, « probablement à la fin du quinquennat », la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisations. Avant cette déclaration, mardi 2 mai sur LCI, il était question de mener cette réforme presque immédiatement.

Marine Le Pen et Emmanuel Macron, sur le plateau de TF1 et France 2, le 3 mai 2017. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

Un débat « féroce »

Ambiance électrique sur le plateau de TF1 et de France 2 lors du débat d’entre-deux-tours. Mercredi 3 mai, la candidate du Front national multiplie les attaques ad hominem contre Emmanuel Macron, après la diffusion de documents en ligne ayant alimenté cette rumeur : « J’espère qu’on n’apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas. » Le lendemain, ces propos poussent M. Macron à déposer plainte contre X pour « faux » et « propagation de fausse nouvelle ».

Critiquée pour son ton outrancier et ses inexactitudes, Marine Le Pen estime après coup qu’« il ne faut pas avoir peur du débat, y compris quand il est féroce, c’est utile ». « On ne venait pas pour prendre une tasse de thé ensemble », a-t-elle dit sur BFMTV et RMC. Jean-Marie Le Pen a vu les choses autrement, estimant que sa fille « a manqué de hauteur ». En froid avec celle-ci, celui qui est toujours président d’honneur du FN lui avait toutefois apporté son soutien, le 1er mai à Paris, lors de son traditionnel discours au pied de la statue de Jeanne d’Arc.