Ce fut l’un des grands thèmes de fracture de la campagne présidentielle. Honnie ou chérie, conspuée ou estimée, la monnaie unique a déchaîné les passions des candidats. Pour ses contempteurs, dont la frontiste Marine Le Pen, elle est responsable du délitement de notre tissu industriel, ravagé par les délocalisations et la concurrence des pays à bas coûts. Pour ses partisans, dont Emmanuel Macron, elle a mis fin à l’instabilité des changes et limité la domination de l’Allemagne sur la politique monétaire de ses voisins.

Dans ces débats, il a beaucoup été question d’économie : inflation, pouvoir d’achat, compétitivité. Marine Le Pen s’est empêtrée dans son projet de double devise, franc et monnaie commune, auquel peu de Français ont compris quelque chose. Sans nier qu’il y a beaucoup à faire pour améliorer son fonctionnement, les europhiles ont tenté de convaincre qu’avec un budget propre et plus d’harmonisation, l’union monétaire contribuerait bien mieux à la prospérité de tous ses membres.

Fruit de l’histoire

Face à la détresse et à l’écœurement de ceux que l’Europe a déçus, ceux dont les emplois se sont évaporés au motif que d’autres travailleurs, dans d’autres contrées, sont payés moins cher, ces arguments ont peu de poids. Tout comme ceux relevant de l’histoire et de la politique.

Pourtant, l’euro est aussi un projet politique. Il est le fruit de l’histoire. Celle d’une Europe qui, pour mettre un terme aux conflits sanglants et fratricides entre ses membres, a choisi de bâtir une maison commune. Bernard Guetta, l’éditorialiste spécialiste en géopolitique de France Inter, l’a rappelé dans sa chronique matinale du 3 mai : l’euro est également né parce qu’il y a eu la guerre de Yougoslavie, qui a ébranlé la solidité de la construction européenne.

Issue de la décomposition des empires ottoman et austro-hongrois en 1918, démantelée par l’Allemagne nazie puis reformée en 1945 par Tito, la Yougoslavie se fissure après l’effondrement de l’Union soviétique, en 1990. Les peuples se divisent. La Slovénie et la Croatie proclament leur indépendance, bientôt suivies par la Bosnie-Herzégovine. La guerre éclate. Mais les Européens sont incapables de définir une politique commune face au conflit.

Situation explosive

Le président français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl savent à quel point la situation est explosive. Ils redoutent qu’elle ne dérape. Comme en 1914, lorsque l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche, à Sarajevo, enclencha une mécanique infernale qui plongea l’Europe dans la première guerre mondiale. Les Balkans, déjà.

Pour éviter qu’à l’avenir, l’histoire se reproduise, ils décident de mettre un coup d’accélérateur à la construction européenne, dont l’un des aboutissements sera l’introduction de l’euro. Rapprocher les pays membres coûte que coûte par la monnaie ? Tant pis si leurs économies ne sont pas tout à fait prêtes, pensaient-ils alors. Elles finiraient bien par suivre. Avaient-ils tort ?

La réponse appartient au prochain couple franco-allemand qui, passé les élections législatives allemandes de septembre, aura pour mission de dessiner le futur de la zone euro.