Gérard Marchand, maire FN de Brachay (Haute-Marne), au bureau de vote du village lors du second tour de l'élection présidentielle. | Nicolas LEBLANC/Item pour "Le Monde"

Sur les hauteurs de Brachay, deux drapeaux bleu marine bravent la grisaille. Le slogan « Marine Présidente » flotte encore au vent, lundi 8 mai. Bravade tenace d’un petit village têtu de Haute-Marne, à l’encontre du reste du pays qui vient d’élire Emmanuel Macron, nouveau président de la République. A Brachay, plus de 90 % des votants lui ont préféré la candidate frontiste. Celle qu’ici, tout le monde a déjà vue « en vrai », puisqu’elle fait sa rentrée politique dans le village de soixante-deux habitants depuis plusieurs années.

Le maire frontiste, Gérard Marchand passe ce lendemain de défaite comme chaque jour de l’année, auprès de ses quelque 150 vaches laitières. Juste en face de la maison aux drapeaux. « Un peu déçu » que sa favorite n’ait pas atteint les 35 % au niveau national ; la faute « au cirque des médias » et au dernier débat. « Elle a merdé », convient l’édile qui aime à dire qu’il la connaît bien, « sa » Marine. « Je ne l’ai pas reconnue face au Macron. » Trop « directe », trop « agressive ».

Gérard Marchand sait très bien ce que certains pensent de ses administrés, qui ont plébiscité un parti d’extrême droite. « On n’est pas des assassins, juste des oubliés, prévient-il. Les gens ne sont pas racistes ici. C’est juste que… » Et d’égrener tout ce qui le pousse à reprendre sa carte du parti depuis que Marine Le Pen lui a fait cadeau de sa première, en 2013. Et notamment les aides qu’« on distribue un peu trop », aux migrants ou « à ceux qui foutent rien » alors que lui a fait ses comptes : il touchera 760 euros de retraite d’agriculteur s’il la prend aujourd’hui. « Et j’ai bossé toute ma vie ! »

Anthony Closset, électeur frontiste, au bureau de vote de Brachay lors du second tour de l'élection présidentielle. | Nicolas LEBLANC/Item pour "Le Monde"

Cigarette sur l’oreille et casquette ruisselante, Anthony Closset fait partie de ceux qui ont espéré la victoire de Marine Le Pen : « Ce qu’elle dit, ça me parle. » La mondialisation, la précarité du travail, « le fait qu’on ne fait pas le poids derrière la main-d’œuvre étrangère ». Lui vient de trouver un poste dans la maçonnerie, pour lequel il ira travailler dans toute l’Europe. Ce qui fera de lui un travailleur détaché, donc ? « Ah oui, mais c’est pas pareil, parce que je bosserai pour une boîte française. »

Patienter cinq ans de plus, « ça va être long »

Depuis son point de vue sur les champs d’éoliennes et de colza, monsieur le maire se tourne vers sa réelle déception du jour : Flammerécourt, le clocher voisin, a détrôné son fief frontiste. « Salauds », a-t-il lancé en riant à son confrère maire, Jean-Marc Fèvre, en apprenant leur résultat : 95 % des quarante votants y ont voté FN cette année.

Nicole Le Corre, elle, glousse devant une telle compétition dans sa vallée. Une barrette ajustée dans ses longs cheveux blonds dégage ses yeux bleus rieurs. La retraitée de 66 ans a osé y croire une nouvelle fois, dimanche soir. Elle espérait revivre le frisson de cette soirée de 2002, où son « leader », Jean-Marie Le Pen, s’était frayé un chemin jusqu’au second tour. Elle travaillait alors au QG de campagne. « Une chance. » Ce soir de 2002 où les jeux étaient faits. Où tous pensaient que le second tour opposerait Lionel Jospin à Jacques Chirac. « Et là, surprise ! » Alors elle qui collectionne les cartes Front national depuis 1992 a osé lancer, au cas où, à trente minutes des résultats nationaux dimanche soir : « Quelqu’un a mis les bouteilles au frais ? » Raté. Patienter cinq ans de plus, « ça va être long » pour Nicole Le Corre qui attend depuis trente ans déjà l’avènement de son parti.

Brachay, village de soixante-deux habitants, dimanche 7 mai. | Nicolas LEBLANC/Item pour "Le Monde"

Le maire, lui, préfère compter en semaines jusqu’à la victoire prochaine. « C’est sûr que le FN va passer aux législatives en Haute-Marne. On a une bonne petite équipe. » Marine Le Pen a frôlé la première place dans le département, avec 49,52 % des voix. Elle a également failli emporter Ferrière-et-Lafolie, à quelques kilomètres. Les pourcentages se sont arrêtés à 53-44 finalement, avantage au nouveau président.

Si les résultats différent entre les deux villages, les « oubliés » partagent la même colère. Entre « lultralibéralisme de Macron » et celle qui « saute sur le dos de tout le monde sans rien proposer », Vincent Henry a choisi de ne pas choisir, dimanche. Blanc ou nul, laisse-t-il deviner. Les mains burinées par une vie dans les champs, l’agriculteur de 57 ans raconte les blés qui ont gelé cette année, les colzas qui risquent de « faire des surprises » – entendre mauvaises. Il se souvient des vaches qu’il a dû abandonner il y a quelques années, même pas vendues en France, où « tout est devenu trop dur ». Bien sûr qu’il préférerait vivre de son métier, plutôt que survivre avec les aides européennes. « L’agriculture française n’en serait pas là s’ils nous avaient soutenus. » Eux, les hommes politiques « trop loin de la base pour comprendre tout ça ». A ses côtés dans le bureau de vote de Ferrière-et-Lafolie, dimanche, Yannick Malingre acquiesce, avant de lancer un vieux souvenir de cette campagne, que l’on pensait presque oublié : « Regardez, Copé, il sait même pas le prix d’un pain au chocolat. »

Le lendemain, la colère est retombée dans les champs. La vie a repris son cours dans les exploitations. Dans la nuit, un veau est né dans la ferme du maire de Brachay. Sa femme, elle, désherbe les parterres de fleurs en souriant. « Dommage pour cette fois. Mais on y arrivera, on fait mieux à chaque fois. »