Quelles sont les leçons du second tour de cette présidentielle ? Gérard Courtois, éditorialiste au Monde, a répondu à vos questions dans un tchat, lundi 8 mai. En voici les principaux extraits.

-Daghe Munegu : Avez-vous des informations concernant les reports de voix au second tour des électeurs de François Fillon et de ceux de Jean-Luc Mélenchon ?

Gérard Courtois : Ipsos a réalisé une enquête auprès de 4 838 personnes inscrites sur les listes électorales pour comprendre le vote des Français au second tour. Selon cette enquête, 48 % des électeurs de M. Fillon se sont reportés sur Macron, 20 % sur Le Pen, 15 % ont voté blanc ou nul et 17 % se sont abstenus.

Pour Jean-Luc Mélenchon, 52 % de ses électeurs ont voté Macron, 7 % Le Pen, 17 % blanc ou nul et 24 % se sont abstenus.

Enfin, pour Benoît Hamon, 71 % de ses électeurs ont voté Macron, 2 % Le Pen, 10 % blanc ou nul et 17 % se sont abstenus.

On peut noter que les reports de ces trois électorats en faveur de Macron ont sensiblement augmenté dans les trois jours qui ont suivi le débat du 3 mai entre les deux finalistes de l’élection présidentielle.

-Balou : Beaucoup disent que Macron, bien qu’élu, est « minoritaire ». Mais qu’en était-il lors des élections présidentielles précédentes ? N’est-ce pas le cas de tous les présidents élus ?

Gérard Courtois : Premier constat : Macron est évidemment majoritaire parmi les électeurs qui ont voté et qui ont fait un choix entre les deux finalistes. Avec 66 % des suffrages exprimés, il réalise le deuxième meilleur score de tous les présidents élus depuis 1965, à l’exception de Jacques Chirac qui avait recueilli 82,2 % des voix. En revanche, il est exact que, avec 25 % d’abstention (12 millions d’électeurs inscrits), on a atteint le deuxième record de la Ve République. Seule l’élection de 1969, qui opposait un candidat de droite (Pompidou) et un candidat de centre droit (Poher) avait été largement boudée par la gauche et avait enregistré un taux d’abstention de plus de 31 %.

Emmanuel Macron, avec 66 % des voix exprimées, a donc recueilli le soutien de 43 % des inscrits, c’est mieux que François Hollande en 2012 (39 %) et équivalent à Nicolas Sarkozy en 2007 (42,6 %).

Enfin, si l’on ajoute les bulletins blancs et nuls (4 millions) au nombre des abstentionnistes, ce sont 16 millions d’électeurs qui n’ont pas exprimé un choix ou qui ne sont pas allés voter, soit un tiers des inscrits. C’est, après 1969, un record dans l’histoire des cinquante dernières années.

-clemy : Peut-on dire que, pour la première fois depuis longtemps, le débat d’entre-deux-tours a eu un réel impact sur le résultat final ?

Gérard Courtois : Absolument. Jusqu’à présent, de l’avis général, l’impact des débats d’entre-deux-tours n’avait pas sensiblement modifié le rapport de force entre les deux finalistes. En 1974, où Valéry Giscard d’Estaing avait été particulièrement brillant, ce débat a sans doute facilité son élection extrêmement serrée contre François Mitterrand. Mais c’était le seul exemple jusqu’à présent.

En revanche, le débat Le Pen-Macron a eu un effet dévastateur pour la candidate du FN. L’enquête électorale du Cevipof réalisée les 30 avril et 1er mai créditait Emmanuel Macron de 59 % des intentions de vote. Deux enquêtes d’Ipsos réalisées le jeudi 4 mai au lendemain du débat et le vendredi 5 lui accordaient 2,5 points puis 1,5 point de progression. En réalité, au vu du résultat de dimanche, c’est sept points que le candidat d’En marche ! a engrangés en quatre jours, la candidate du Front national chutant d’autant. C’est un mouvement d’opinion absolument sans précédent qui démontre à quel point Marine Le Pen s’est « crashée » lors du débat.

-Elfe Aquitain : De quelle étendue d’action le prochain gouvernement dispose-t-il d’ici au renouvellement de l’Assemblée nationale ?

Gérard Courtois : Emmanuel Macron va être amené à prendre toute une série de décisions essentielles pour le démarrage de son quinquennat. Dès cette semaine devrait être rendue publique la liste des 577 candidats que son mouvement présentera aux législatives des 11 et 18 juin. Ce « casting » est un des facteurs déterminants de sa capacité à conquérir, demain, une majorité à l’Assemblée nationale.

A partir de son entrée en fonction, dimanche 14 mai, il va nommer un premier ministre et un gouvernement dont la configuration symbolisera, ou non, sa volonté de renouvellement et de rassemblement puisque ce sont les deux objectifs qu’il s’est fixés.

Une fois le gouvernement nommé, et sans attendre les législatives, le pouvoir exécutif pourra prendre des initiatives hautement symboliques : en particulier, Emmanuel Macron semble vouloir très rapidement présenter en conseil des ministres le projet de loi de moralisation de la vie politique qu’il a annoncée. Ce projet ne pourra pas être discuté avant la session extraordinaire du Parlement, en juillet. Mais il marquera une première étape dans la réalisation de ses engagements.

Par ailleurs, le nouveau président de la République va être amené à faire ses premiers pas sur la scène internationale : il participera à un sommet de l’OTAN le 25 mai et à une réunion du G7 les 26 et 27 mai. Dans les deux cas, au-delà même des contacts qu’il prendra très rapidement avec ses homologues européens, et notamment avec la chancelière allemande, ce sera l’occasion pour lui de tracer les grandes lignes de son action européenne et internationale.

-Nico : Quand les premières ordonnances d’un gouvernement nommé par Emmanuel Macron pourraient-elles prendre effet ?

Gérard Courtois : Les ordonnances obéissent à une procédure parlementaire : le gouvernement doit soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat une loi d’habilitation précisant le contenu des ordonnances à venir. Le gouvernement pourra donc annoncer ses intentions mais ne pourra pas mettre en œuvre les ordonnances sans l’approbation du Parlement. Cela suppose qu’il ait une majorité à l’Assemblée nationale et que celle-ci se réunisse en session extraordinaire comme c’est déjà prévu au mois de juillet.

-Romain : Sait-on quelle est la part d’adhésion dans le vote Macron d’hier ?

Gérard Courtois : Une enquête d’Ipsos réalisée auprès de 4 838 personnes inscrites sur les listes électorales indique que 43 % des électeurs d’Emmanuel Macron ont voté pour exprimer leur « opposition à Marine Le Pen ». Par conséquent, 57 % ont voté soit « pour le renouvellement qu’il représente » (33 %), « pour son programme » (16 %) et « pour sa personnalité » (8 %). Il y a donc clairement dans le vote en faveur de Macron une part importante de vote destiné à faire barrage au FN et non de vote d’adhésion.

-Peter P : S’agit-il bien du record de bulletins blancs et nuls ?

Gérard Courtois : Oui, c’est un record absolu de bulletins blancs et nuls (11,5 % des votants). C’est pratiquement, en pourcentage, deux fois plus qu’en 1969 (6,4 %) ou en 2012 (6,1 %). Et ces quatre millions d’électeurs ont clairement manifesté leur refus de choisir entre deux candidats qui ne les satisfaisaient ni l’un ni l’autre.

-Ben : Bonjour, Le Front National se fissurera-t-il dans les prochains mois entre la ligne de la tante et celle de la nièce ?

Gérard Courtois : C’est difficile à dire à ce stade. Le prochain congrès du FN est prévu début 2018. Ce qui est certain, c’est que l’ambition affichée par Marine Le Pen depuis des mois était d’arriver en tête au premier tour et de s’approcher aussi près que possible de la majorité au second. Elle a échoué sur ces deux objectifs et cela a manifestement provoqué des frustrations dans une partie de son électorat et des réserves, voire des critiques feutrées, chez certains responsables du FN, comme sa nièce Marion Maréchal-Le Pen.

S’il constitue, et il ne faut pas l’oublier, un record pour le parti d’extrême droite (plus de 10 millions de voix et 34 % des suffrages), ce résultat médiocre ne manquera pas de raviver des tensions qui n’ont jamais cessé au sein du FN. Va se reposer inévitablement la question du « renouvellement » du parti, annoncé par Marine Le Pen dimanche soir. Cette « alliance patriote » qu’elle appelle de ses vœux reposera également la question du nom du parti, qui a déjà été une pomme de discorde au cours des dernières années. Mais il ne faut pas se leurrer : à ce stade, il n’y a aucune alternative à la direction du FN par Marine Le Pen.

-Gerard 75 : Bonjour, j’ai trouvé M. Corbière plutôt virulent dans ses prises de parole depuis hier. La France Insoumise ne risque t-elle pas d’« exciter » les mouvements d’extrême gauche et à les pousser dans la rue ?

Gérard Courtois : Le ton d’Alexis Corbière n’est pas différent de celui de Jean-Luc Mélenchon, qui entend incarner, demain, l’opposant numéro un contre le « nouveau monarque présidentiel », selon son expression dimanche soir. L’ambition du leader de la France insoumise, confortée par son résultat le 23 avril, est d’être le grand architecte de la reconstruction de la gauche au détriment des socialistes. Il va donc faire flèche de tout bois contre les projets du futur gouvernement. Reste pour lui à transformer son score très encourageant du premier tour en résultat significatif aux législatives. Ce n’est manifestement pas acquis : les négociations engagées avec les communistes sont des plus tendues, les contacts avec les écologistes d’EELV sont dans l’impasse et la division des gauches risque d’être extrêmement négative pour l’ensemble de leurs candidats. Jusqu’à présent, c’est grâce aux désistements réciproques au second tour que les candidats communistes ou écologistes parvenaient à être élus.