A l’aéroport Reagan de Washington, en novembre 2015. | ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

« Extraordinaire ». Qu’un avion croise et percute un oiseau dans le ciel a été qualifié de « circonstance extraordinaire » par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans un jugement rendu jeudi 4 mai. Deux citoyennes tchèques avaient saisi la justice de leur pays à cause du non-paiement d’une indemnité par la compagnie tchèque Travel Service, pour un retard de plusieurs heures dû, notamment, à la collision de l’avion avec un oiseau.

En août 2013, Marcela Peskova et Jiri Peska, qui voulaient se rendre de Bourgas (Bulgarie) à Ostrava (République tchèque), sont arrivés à destination avec un retard de cinq heures et vingt minutes. Se référant au règlement de l’Union européenne sur l’indemnisation des passagers aériens, qui prévoit une réparation dès lors que le délai excède trois heures, les malheureuses voyageuses ont saisi un tribunal praguois pour réclamer à Travel Service la somme de 6 825 couronnes tchèques (255 euros). La justice tchèque s’est alors tournée vers l’Europe pour savoir « si la collision d’un avion avec un oiseau est une circonstance extraordinaire dont la survenance peut exempter la compagnie aérienne de son obligation d’indemnisation ».

La CJUE a donc décidé de donner raison à la compagnie aérienne contre ses passagères. La définition du caractère extraordinaire d’une circonstance correspond à « des événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien et échappent à la maîtrise effective de celui-ci ». Les oiseaux, nombreux à sillonner le ciel, rejoignent ainsi l’éruption de l’Eyjafjöll, le volcan islandais qui, en 2010, avait paralysé une bonne partie des vols en Europe.

« Peu prévisible »

« Notre interprétation des circonstances extraordinaires est généralement restrictive. Ainsi, par le passé, le choc d’un escalier mobile contre une aile d’avion n’a pas été retenu, car cela fait partie des risques liés à l’activité d’une compagnie aérienne, de même qu’une défaillance technique », explique-t-on du côté de la CJUE. A l’inverse, un événement météorologique, climatique, de même qu’une grève « par définition peu prévisible », un acte terroriste ou un attentat sont des éléments « extraordinaires ».

A cette liste, il faut ajouter dorénavant le vol d’un rapace, d’un goléand ou d’un vanneau contre le parebrise d’un cockpit ou un réacteur. « La collision entre un avion et un oiseau ainsi que l’éventuel endommagement provoqué par cette collision ne sont pas intrinsèquement liés au système de fonctionnement de l’appareil », dit l’arrêt de la Cour. L’accident échappe donc à la maîtrise de la compagnie aérienne.

Les magistrats n’ont pas suivi, chose rare, les conclusions de l’avocat général, le Français Yves Bot. Ce dernier avait en effet estimé que « la collision d’un oiseau avec un avion n’est en rien un événement qui se situe hors de l’ordinaire ». M. Bot avait relaté abondamment les mesures prises par les compagnies aériennes et les aéroports pour se prémunir au maximum de ces phénomènes, rappelant qu’en France, 700 collisions d’oiseaux avec un avion sont recensées chaque année.

« Le péril animalier dans l’activité du transport aérien est un phénomène bien connu et parfaitement appréhendé par les acteurs concernés », a insisté l’avocat général. Et de conclure que la compagnie ne peut être exonérée de son obligation d’indemnisation, mais qu’elle peut, à son tour, se retourner vers le gestionnaire de l’aéroport si elle estime que ce dernier n’a pas pris « les mesures suffisantes pour effaroucher les volatiles ».

Déboutées de leur demande principale, les deux citoyennes tchèques n’ont pas tout perdu. Car l’histoire ne se résume pas à la seule rencontre brève de leur avion avec un oiseau lors de son atterrissage à Brno (République tchèque). A la suite de l’incident, l’avion a été contrôlé « par un expert local habilité à cet effet par la réglementation applicable ». Mais la compagnie Travel Service a ordonné un second contrôle et, pour ce faire, a fait venir un expert de son choix « afin d’effectuer à nouveau les vérifications de sécurité ». Le temps que le professionnel, commandité par la société Sunwing, propriétaire de l’avion, arrive, a allongé le retard.

A partir de là, les magistrats de la CJUE estiment qu’il faut séparer les délais engendrés par ces deux événements, pour ne tenir compte que du retard engendré par la volonté du transporteur d’effectuer un second contrôle. Mais celui-ci sera-t-il suffisamment long pour dépasser la barre fatidique des trois heures, déclenchant le droit à indemnisation ?