Manifestation le 29 avril à Tunis contre une loi qui pourrait protéger de poursuites judiciaires les accusés de corruption. | ZOUBEIR SOUISSI / REUTERS

Le président de l’Instance électorale tunisienne, Chafik Sarsar, a démissionné mardi 9 mai avec fracas à sept mois des premières municipales de l’après-révolution, en laissant entendre qu’il ne pouvait plus travailler de manière « impartiale » et « transparente ».

Créée après la chute de la dictature en 2011, l’Instance supérieure indépendante électorale (Isie) est chargée de préparer la tenue de ce scrutin essentiel pour la poursuite du processus démocratique dans l’unique pays rescapé du Printemps arabe. Elle jouit d’une solide réputation après avoir déjà mené à bien les législatives et présidentielle de 2014.

Une surprise à la veille d’un discours du président

La démission de son patron, une personnalité respectée, a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un contexte politique et social déjà tendu. Elle intervient alors que les spéculations se multiplient à la veille d’un discours du président Béji Caïd Essebsi, dont la teneur n’est pas connue.

« C’est une surprise pour tout le monde. Nous regrettons cette décision (…), nous ne savons pas ce qui s’est passé », a affirmé à la radio Shems FM une conseillère du président, Saïda Garrach. « Quelle qu’en soit la raison (…), c’est un fait grave qui aura d’importantes répercussions. L’Isie est l’une des rares instances institutionnelles indépendantes de la nouvelle Tunisie », a réagi auprès de l’AFP l’analyste Selim Kharrat.

Chafik Sarsar a annoncé son départ ainsi que celui du vice-président, Mourad Ben Mouelli, et d’une autre membre, Lamia Zargouni, lors d’une conférence de presse. Dix employés administratifs ont aussi jeté l’éponge, a indiqué une responsable de l’Isie sous couvert de l’anonymat.

« Conformément au serment » selon lequel « nous nous engageons à œuvrer à des élections libres et transparentes, et à mener notre devoir avec indépendance et impartialité (…), nous avons décidé de démissionner », a déclaré M. Sarsar, la voix tremblante. « Nous avons été contraints à cette démission », a-t-il ajouté, en évoquant des conflits internes « touchant aux valeurs et principes sur lesquels se fonde la démocratie ».

Refus d’être « témoin de fraudes »

Sous le couvert de l’anonymat, un membre de l’Instance a expliqué les démissions par le fait que certains au sein de l’Isie « veulent orienter le travail vers des intérêts précis ». Et un collaborateur de M. Sarsar a dit à l’AFP que ce dernier refusait d’être « témoin de fraudes ».

M. Sarsar a mis tout son poids ces derniers mois pour accélérer la tenue des premières municipales de l’après-révolution. Attendues de longue date afin de consolider la transition démocratique, elles ont été fixées au 17 décembre.

Si la Tunisie est parvenue à faire avancer sa transition démocratique, elle reste engluée dans la morosité économique et sociale. Entré en fonction il y a moins d’un an, le gouvernement de Youssef Chahed est à son tour confronté à la montée de mouvements sociaux, comme à Tataouine (sud), Kairouan (centre) ou encore au Kef (nord-ouest).

Mardi, M. Chahed a indiqué qu’il réunirait les partis et organisations signataires de l’« accord de Carthage » ce jeudi. Conclu en 2016, cet accord a permis la formation de son gouvernement dit « d’union nationale ». Le mois dernier, M. Chahed a été contraint de se séparer de deux ministres. Et pour la première fois, il a lui-même fait l’objet de rumeurs de démission, toutefois rapidement balayées.