Une drôle de symphonie dans la poche. Un bip, deux dings, un trio de notes, un croassement. Des vibrations tour à tour paresseuses, saccadées, affolées. Le smartphone a une vie propre, il se signale à nous comme un enfant nous tirerait par la manche. Maman, maman, écoute-moi.

Sauf que ce qu’il a à dire ne porte pas sur une troisième part de gâteau au chocolat. Il nous livre, en vrac, des informations sur l’état du monde, nos rendez-vous de la journée, les jeux auxquels on pourrait jouer, les réseaux sociaux pleins de nouvelles polémiques à découvrir. Ce sont les notifications.

Il y a les discrètes : un chiffre qui augmente au-dessus d’une icône, pour signaler les messages non lus. Certains effacent frénétiquement leurs mails pour rester à zéro, écopant sans fin leur barque numérique percée de mille trous. D’autres laissent filer jusqu’à des nombres vertigineux, comme le compteur de la dette publique américaine installé dans une rue de New York.

Il y a les factuelles : « Lou Reed est mort. » « Votre compte présente un solde débiteur de 387 euros. » Parfois, on les a programmées soi-même : « 19 heures : pain/oranges à jus/homéopathie/RV dentiste ». Ce fatras laisse un sentiment d’aplanissement des hiérarchies, comme si Lou Reed était rayé de la liste de courses en même temps que les oranges.

« Pourquoi je l’ai reçue après toi ? »

En période de forte actualité, une pluie d’infos tombe sur les téléphones. Au journal, une mélodie en canon retentit dans les étages à chaque alerte du Monde.fr, suscitant régulièrement le même débat : « Pourquoi je l’ai reçue après toi ? » Ma chouchoute à moi reste l’alerte BBC News, dont la sonnerie me donne l’impression d’être catapultée sur un plateau télé en breaking news.

Dernière catégorie de notifications, les racoleuses : « 14,07 km parcourus et 826 calories brûlées cette semaine, Clara ! Chaussez vos baskets et continuez sur votre lancée ! » « La fée des dents a une surprise succulente pour toi, Clara ! Viens vite jouer. » Là, un mécanisme insidieux est à l’œuvre. Ces messages sont tellement exaspérants que l’on finit par se dire que le meilleur moyen de leur rabattre le caquet, c’est de leur obéir.

Une inversion du rapport homme-objet

Les notifications, c’est une inversion du rapport homme-objet : ce n’est plus l’homme qui sollicite l’objet mais l’objet qui sollicite l’homme, du fond du sac. Nous ne sommes pas pour autant des victimes impuissantes de la technologie tyrannique. Il suffit de les éteindre pour reprendre la main – c’est ce que j’ai choisi de faire.

Je ne crois pas non plus que ces notifications nous rendent incapables de faire la part des choses, de « prioriser », comme on dit avec élégance dans le monde du travail. Il y a celles qu’on oublie aussitôt, bribes d’informations périssables comme un vieux journal papier. Et il y a celles que l’on n’oubliera jamais. Un message à l’aube, un matin de mai 2011 : « DSK arrêté à New York pour viol. » Un écran couvert d’alertes en sortant de la piscine, un midi de congé maternité : « Fusillade à Charlie Hebdo, plusieurs morts. » Dimanche 7 mai, à 20 heures, l’histoire de France carillonnera encore dans nos poches.