En tant que PDG d’Orange Middle East & Africa, un des tout premiers investisseurs français en Afrique, j’ai acquis cinq convictions fortes qui, à mon sens, conditionnent l’avènement de relations plus équilibrées et créatrices de plus de valeur entre notre pays et le continent. Cinq convictions qui sont autant de défis pour notre prochain président de la République.

En premier lieu, ne sous-estimons pas le potentiel économique de l’Afrique. Beaucoup d’indicateurs de développement de la consommation en Afrique sont au vert : forte croissance démographique (un quart de la population mondiale en 2050), prédominance des jeunes (50 % de la population a moins de 20 ans), urbanisation galopante (les cinq premières villes d’Afrique comptent plus de 10 millions d’habitants), adoption massive et ultra rapide des nouvelles technologies (un milliard de mobiles actifs en Afrique en 2016).

Le dynamisme de nos relations commerciales ne demande qu’à être débridé. C’est le premier défi de la nouvelle présidence. Pour commencer, il conviendra de tourner la page de la Françafrique. Le temps est venu d’établir des relations plus stimulantes et plus matures entre notre pays et le continent. Tous les acteurs sont prêts pour un mode de relations plus direct qui pourra s’affranchir de grands partenariats public-privé et d’intermédiation gouvernementale.

Renforcer l’éthique des affaires

Ce renouveau économique, producteur de valeur et d’emplois, sera un puissant levier de lutte contre le chômage de masse des deux côtés de la Méditerranée. Nos entreprises françaises emploient un demi-million de personnes en Afrique. Nos exportations vers l’Afrique représentent près de 300 000 emplois en France. Un potentiel qui ne demande qu’à être développé.

La France et le continent peuvent redynamiser leurs échanges commerciaux grâce à leurs PME qu’Emmanuel Macron veut soutenir parce qu’elles sont créatrices d’emplois. Lors du sommet Afrique-France les 13 et 14 janvier, Bpifrance et AfricInvest ont lancé un fonds d’investissement franco-africain de 77 millions d’euros. Il s’agit là d’accélérer la croissance de PME innovantes africaines et françaises pour porter des projets de développement sur les deux continents. Le ton est donné.

Pour autant, il n’y aura pas de renouveau économique fort et pérenne sans cadre fiscal et réglementaire fiable et transparent. La conformité sera le second défi du nouveau président. Il lui faudra maintenir les exigences d’éthique qui encadrent la vie des affaires. Des progrès significatifs ont été faits ces dernières années, mais trop de pratiques condamnables fragilisent encore la réputation de l’Afrique. Mais si la compétitivité en trompe-l’œil de certains pays peu attentifs à l’éthique des affaires pénalise encore aujourd’hui des entreprises françaises et européennes, la dissymétrie n’aura qu’un temps.

La sécurité, un préalable indispensable

Fin 2016, la loi Sapin 2 a doté la France d’un nouveau cadre législatif pour lutter contre la corruption. Les entreprises africaines, dont la maison mère est en France, seront tenues de s’y conformer dès le mois de juin. Notre président pourra inciter les pays du continent à se mettre au diapason des normes qui ont cours dans le reste du monde. Un préalable indispensable à l’intégration rapide et durable de l’Afrique à la mondialisation des affaires.

Pas de renouveau économique non plus, sans sécurité, troisième défi du président. La sécurité reste un préalable indispensable à la poursuite du développement du continent. La France et l’Europe doivent prendre leurs responsabilités dans la bataille contre l’extrémisme qui menace le monde. L’Hexagone consacre, à lui seul, 1 milliard d’euros par an à la défense du continent africain. Mais face à l’élargissement de la menace, notamment au Sahel, il est exclu de relâcher l’effort français. Notre engagement doit être relayé par une mobilisation européenne que notre futur président pourrait naturellement impulser.

Le président devra aussi garder à l’esprit que la transformation de l’Afrique sera numérique et que son développement passe par sa digitalisation. Son quatrième défi. La transformation digitale de l’Afrique permet un rattrapage accéléré et amplifié, et ouvre la voie à un développement alternatif décomplexé. Concernant l’énergie, il faut sortir d’une vision centrée sur les infrastructures lourdes, et privilégier les solutions plus légères, moins onéreuses, déployées plus vite et plus efficacement.

La francophonie, un levier économique majeur

Dans le domaine de l’urbanisation, le numérique favorise la conception de mégapoles intelligentes qui permettent un développement plus inclusif par l’apport de services aux populations. Quel plus bel exemple d’inclusion rendue possible par le numérique que les services financiers sur mobile qui ont déjà considérablement modernisé et sécurisé les économies ? Dans ce domaine, c’est l’Afrique qui montre la voie à l’Europe.

Enfin, il faut rappeler que la francophonie peut être un levier économique majeur. En 2050, 85 % des francophones de la planète, soit 700 millions de locuteurs, seront africains. Au nom de la francophonie, notre président devra faire de notre pays un des tout premiers contributeurs à l’effort de formation qui permettra de faire face aux enjeux économiques et sécuritaires qui résulteront de l’évolution démographique amorcée. Ce sera là son cinquième défi.

La France doit aider à développer sur place les compétences de haut niveau dont l’Afrique a besoin pour éviter que la valeur ajoutée soit, encore une fois, captée par d’autres, en Asie et outre-Atlantique. C’est ce qu’ont commencé à faire certaines grandes écoles, comme Dauphine à Tunis ou l’Essec à Rabat. L’Ecole polytechnique avec le soutien d’Orange, de Keyrus et de Thales a institué une chaire Data Scientist en Côte d’Ivoire… Profitons de notre langue commune pour favoriser les échanges entre jeunes de nos pays, socle de notre renouveau économique commun. Cela passe par la relance de l’accueil des étudiants africains sur son sol et de l’envoi de ses étudiants sur le continent.

Attractivité mutuelle

Si près de la moitié des étudiants étrangers en France sont encore Africains (134 000), notre pays n’est plus leur destination privilégiée. Alors que notre nombre de bourses a baissé de 40 % en dix ans, comment se positionner par rapport au Moyen-Orient qui propose des aides spécifiques ou à la Chine qui diffuse sa culture par ses instituts sur le continent ? Après tout, le Louvre a su s’implanter à Abou Dhabi et à Lens, pourquoi pas demain à Casablanca ou à Niamey ? Et Beaubourg, après Metz, n’aurait-il pas sa place à Kinshasa ?

Enfin, à notre tour, favorisons l’envoi d’étudiants français en Afrique. C’est le sens du programme d’AfricaFrance Young Leaders lancé en mars. Un concours qui propose à quelques jeunes cadres dirigeants du continent et de notre pays de se retrouver lors de formations continues de haut vol dispensées par les universités du Cap, de Dakar et de Sciences Po. En un mois, plus de 600 candidatures ont été reçues. On peut y voir le signe d’une extraordinaire résilience de notre attractivité mutuelle. Les dirigeants de demain ont envie de bâtir de nouvelles relations, aussi fortes que jadis, mais apaisées et équilibrées. Donnons-leur cette opportunité. Et si une grande part de l’avenir de la France est en Afrique, alors donnons-nous cette chance.

Bruno Mettling est PDG d’Orange Middle East & Africa, ainsi que vice-président du Medef International.