L’« insoumis » Jean-Luc Mélenchon (sur la photo) et le communiste jean-Luc Mélenchon n’ont pas réussi à trouver d’accord pour les législatives. | Thibault Camus / AP

Lors de la présidentielle, ils se sont réjouis, d’un côté comme de l’autre, d’un ralliement, certes tardif, du Parti communiste français (PCF) à La France insoumise. Mais pour les législatives qui se tiendront les 11 et 18 juin, il en sera autrement : le parti de Pierre Laurent et le mouvement de Jean-Luc Mélenchon ont échoué à trouver un accord.

Plus de cent cinquante personnes ont répondu à un appel à témoignages du Monde sur cet échec des négociations. Nombre d’entre elles disent leur « déception » et leur « colère », de voir leurs espoirs d’une grande alliance de gauche s’effondrer à cause d’une « guerre d’ego ». De quoi convaincre certains de changer de « camp ». Ou de dégoûter d’autres de voter pour l’un comme pour l’autre.

A l’instar de Pierre Arsac, étudiant de 19 ans originaire de Francheville (Orne), qui trouve cette attitude « incroyablement stupide ». Selon lui, « il est primordial de dépasser les petites guégerres puériles entre factions » pour faire émerger « une alliance la plus large possible ». En attendant, si dans sa circonscription se présentent un candidat PCF et un autre de La France insoumise, il ne votera « ni pour l’un ni pour l’autre ».

« Une incapacité à passer outre les divisions »

Bastien S., ingénieur de 25 ans résidant à Lyon (Rhône), est lui aussi « extrêmement déçu de voir la gauche retomber dans les travers qui la caractérisent depuis vingt ans ». Et de regretter « cette incapacité à passer outre les divisions, sectarismes et guerres d’ego » qui aboutit « systématiquement à l’éparpillement des voix de gauche ». Lui qui a voté pour La France insoumise au premier tour de la présidentielle se « désole de voir tout le monde appeler au “grand rassemblement tant que c’est moi qui commande” », que ce soit Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, Benoît Hamon ou Christiane Taubira et Anne Hidalgo, qui lancent leur mouvement. Alors, pour les législatives, il votera « utile » en choisissant le candidat « qui a le plus de chances de rassembler ».

Cédric Duhem, « insoumis convaincu » ne changera pas son vote aux législatives, mais se « désole » déjà de « savoir que ce sera vain ». « Un accord de la vraie gauche (La France insoumise-PCF-EELV-vrai PS”) aurait probablement permis à celle-ci d’avoir la majorité à l’Assemblée, ou a minima un grand poids sur les politiques à venir », estime ce cadre de 35 ans habitant en Seine-et-Marne, insistant sur le fait que « les différences entre les quatre sensibilités sont très ténues ».

Karine Leblanc, électrice « insoumise » elle aussi est carrément « désespérée ». Cette chercheuse de 41 ans habitant Marseille (Bouches-du-Rhône) « supplie » les acteurs de la gauche « de Hamon à Arthaud » de se rassembler et de « faire taire [leurs ego] ». « Ce qui vous sépare est tellement plus petit que ce qui nous sépare de tous les autres », justifie-t-elle avant de questionner : « Comment pouvez-vous accepter de jeter cet idéal aux orties pour défendre vos petits postes ? »

Des « insoumis » qui n’ont « pas voulu ça »…

Chez Sylviane Candille, cadre de 61 ans à Elne (Pyrénées-Orientales), c’est la « colère » qui domine. « Nous n’avons pas voulu ça ! », assène-t-elle. « Plus de 7 millions de “gens” ont voté pour une autre société, ouverte, solidaire, créative, fraternelle, en accordant leur voix à Jean-Luc Mélenchon. Ce n’était pas pour voir ou revoir ces querelles d’ego ou de tranchées nauséabondes au moment de confirmer cet élan aux législatives ». Elle n’est donc pas encore certaine de remettre le bulletin La France insoumise dans l’urne pour le scrutin du 11 juin.

Cette situation « attriste » plutôt Dominique Thoirain, de Paris. Professeur de 64 ans à la retraite, qui a voté pour La France insoumise à la présidentielle, elle se sent incomprise : « Jean-Luc Mélenchon n’a pas compris que son bon score du premier tour ne lui appartient pas. […] Son attitude bonapartiste s’affirme et gâche l’élan du dernier scrutin ». De quoi la faire hésiter de lui redonner sa voix pour les législatives, mais « a priori, ce sera non ».

Guy Salvy, kinésithérapeute de 24 ans résidant à Toulouse, n’hésite pas à parler de « trahison ». « Pour tous ceux qui, comme moi, s’étaient retrouvés dans ce projet semblant casser les codes du fameux “système” (…), nous nous retrouvons plantés par ceux qui prétendaient passer au-delà de ces conflits égotiques et puérils ». Résultat, il a donné sa voix à La France insoumise pour la présidentielle, il ne la lui donnera pas pour les législatives.

Autre « insoumis » mécontent, Florent Chevalier, enseignant de 25 ans expatrié en Ecosse. « Effondré » de cette « situation absurde », il « espérai[t] de tout cœur un accord entre ces deux forces politiques, mais aussi avec Ensemble, Alternative démocratie socialisme, et peut-être EELV, qui se rapproche fortement de la gauche radicale ». « Extrêmement déçu du comportement malhonnête de Jean-Luc Mélenchon » et de « l’intransigeance de La France insoumise » face aux conditions demandées par le PCF pour un accord, il considère aujourd’hui La France insoumise « comme une organisation à l’opposé de ses principes : ultracentralisée, alors qu’elle défend la démocratie locale, et égoïste, alors qu’elle défend le partage ». Par conséquent, il donnera sa voix au candidat « qui a le plus œuvré au rassemblement », soit au PCF, « à défaut d’un effort conséquent de la part de La France insoumise ».

… et qui se tournent vers le PCF

« Première déçue de la réaction de M. Mélenchon », qu’elle a « soutenu à fond » lors de la présidentielle, Pascale Claudepierre, 53 ans, suppose que ce dernier « a certainement déjà oublié les nombreux électeurs et électrices issus du PCF (dont [elle] fai[t] partie) et sympathisants qui par milliers de voix lui ont permis de faire presque 20 % ». Cette habitante de Vieux-Condé (Nord) votera donc PCF aux législatives — « dommage », selon elle.

Arthur Acker, étudiant de 20 ans originaire de Vierzon (Cher), s’est laissé convaincre par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle. Il « espérai[t] un accord entre La France insoumise et le PCF », pensant que la première « pourrait s’appuyer sur les quelques bastions communistes en France, notamment dans [s]a circonscription. » Il se dit « déçu par le comportement » du leader de La France insoumise, qui donne le sentiment « de vouloir affaiblir tous les mouvements autres que le sien au lieu de vouloir unir toute la gauche ». Ainsi, il donnera sa voix au PCF si l’un de ses candidats se présente dans sa circonscription.

Jean-Robert Franco est quant à lui catégorique : « Plus jamais les “insoumis”. » L’artiste parisien de 70 ans, qui a fait campagne pour Jean-Luc Mélenchon, se sent « trahi par le nouveau rejet de tout accord de la part de La France insoumise », dont l’« arrogance et l’hégémonisme [l]e choquent profondément ». Une attitude qui le « motive particulièrement pour faire la campagne du PCF aux législatives ».

Le PCF, un « parti dépassé » ?

Ancien militant communiste ayant rejoint le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, Julien A., enseignant de 36 ans habitant à Lorient (Morbihan), est lui aussi très remonté. « Le PCF se retrouve complètement dépassé par ses militants et au lieu de s’éteindre d’une belle mort porteuse d’espoir en fusionnant avec La France insoumise, s’accroche aux dernières branches pour s’écraser lamentablement », se désole-t-il.

« Le PCF, malgré tout ce qu’on lui doit et la vaillance de ses militants, est une structure à bout de souffle, comme le PS et LR à leur manière », juge sans appel Patrice Lang, 41 ans. « Insoumis », ce cadre dans la région parisienne estime toutefois que « cette concurrence est dommageable pour les idées de gauche et sera peut-être mortelle pour le PCF, dont les quelques députés sortants seront concurrencés par des candidats soutenus par Jean-Luc Mélenchon ».

Militant communiste, Christophe C., habitant Toulouse (Haute-Garonne), s’est tourné vers La France insoumise, « qui attire la jeunesse, et représente le renouveau ». Selon ce technicien de 35 ans, cette absence d’accord n’est « absolument pas étonnante » : « La direction aurait dû prendre plus sérieusement l’avertissement de sa base, qui a voté à 40 % pour le ralliement à La France insoumise l’année dernière ».