La filiale du groupe nucléaire Areva, chargée de la fabrication des réacteurs EPR, doit passer sous le contrôle d’EDF au second semestre 2017. | ÉRIC PIERMONT / AFP

La restructuration de la filière nucléaire française – un des principaux dossiers industriels du président élu, Emmanuel Macron – se poursuit et devrait s’achever à la fin de l’année. Le groupe français de conseil en ingénierie Assystem a annoncé, jeudi 11 mai, qu’il participerait au tour de table pour la reprise d’Areva NP. La filiale du groupe nucléaire Areva, chargée de la fabrication des réacteurs EPR, doit passer sous le contrôle d’Electricité de France (EDF) au second semestre 2017, si l’opération reçoit l’aval de la Commission européenne.

Avec 5 % du capital, Assystem rejoindra le conglomérat Mitsubishi Heavy Industries (MHI est sur le point d’acquérir 15 % d’Areva NP pour 335 millions d’euros, selon le quotidien économique japonais Nikkei) et peut-être China General Nuclear Power Corporation (CGNPC), partenaire historique d’EDF en Chine et désormais au Royaume-Uni.

Lourdement endettée (37,5 milliards), EDF ne voulait pas débourser 2,5 milliards pour reprendre 100 % d’Areva NP (ex-Framatome), rebaptisée New Areva NP (celle-ci ne conservant pas les actifs à risques, comme le chantier de l’EPR finlandais). Le PDG du groupe d’électricité, Jean-Bernard Lévy, se contenterait même de 51 % ; une part qui lui permettrait de limiter son investissement à 1,3 milliard. De son côté, l’entreprise Areva, rebaptisée Newco et recentrée sur le cycle du combustible (extraction et enrichissement de l’uranium, retraitement des déchets), pourrait conserver 15 % de son ancienne filiale réacteurs. Restent donc quelque 35 % ouverts à des investisseurs français et étrangers.

125 millions pour cette offre publique de rachat d’actions

Assytem, qui s’affiche comme la première société d’ingénierie nucléaire indépendante d’Europe, va débourser 125 millions pour cette offre publique de rachat d’actions de New Areva NP. La vente à la société d’investissement Ardian de 60 % de sa division Global Product Solutions, valorisée 550 millions, couvrira largement cette opération. « Elle a pour objectif d’accélérer le développement de sa division Energy et Infrastructure dans un contexte de croissance rapide des besoins en ingénierie nucléaire dans le monde », explique la société.

Assystem, qui emploie 12 500 personnes et réalise 955 millions de chiffre d’affaires, avait accompagné EDF et Framatome dans la construction du parc nucléaire français, avant de trouver des relais de croissance dans l’automobile et l’aéronautique au début des années 2000 pour compenser l’effondrement du marché nucléaire. L’entreprise n’avait toutefois pas renoncé à ce secteur et avait été épaulée par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) sur des projets de taille modeste. Puis elle a décroché deux contrats importants sur le projet de réacteur ITER de Cadarache (fusion nucléaire). Et son PDG, Dominique Louis, constate que « le marché nucléaire redémarre ».

« J’ai la conviction qu’avec le réchauffement climatique, cette énergie devient incontournable », assure-t-il, jugeant que 100 % d’énergies renouvelables sont plus « une utopie politique » qu’un scénario crédible. Dans une centrale nucléaire, un des équipements industriels les plus complexes, l’ingénierie représente 25 % de l’investissement. Et la digitalisation de l’industrie va permettre de rendre la construction et l’exploitation de ces réacteurs plus sûres et plus compétitives. Autant de raisons pour se relancer dans ce secteur, assure-t-il.

Cette participation va « ancrer Assystem dans la filière française »

M. Louis assure que cette participation va « ancrer Assystem dans la filière française », tout en lui laissant la liberté de travailler avec d’autres équipementiers opérateurs nucléaires, comme le russe Rosatom ou le coréen Kepco. L’investissement dans Areva NP s’inscrit « dans le cadre d’un accord plus large avec EDF, visant à consolider leur partenariat au service notamment des activités de maintien en condition opérationnelle du parc de réacteurs nucléaires en France et en Grande-Bretagne », précise le communiqué.

Assystem s’ouvre le marché du « grand carénage », le programme de modernisation des 58 réacteurs français estimé à 50 milliards d’ici à 2025. A moyen terme, la société d’ingénierie pourra participer à un nouveau programme de construction d’EPR en Grande-Bretagne et en France. « On apporte une expertise de premier plan et on va aider à réduire les coûts », détaille M. Louis.

Les ingénieurs d’EDF et d’Areva NP préparent un « EPR nouveau modèle »

L’avenir de la filière nucléaire française, qui a laissé le leadership au russe Rosatom, s’écrit néanmoins en pointillé. M. Macron a certes confirmé l’objectif de la loi de transition énergétique de 2015 de ramener la part d’électricité d’origine nucléaire de 75 % à 50 % en 2025, tout en laissant entendre que le calendrier serait très difficile à tenir alors que la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) ne fermera pas avant 2019. Mais il ne s’est pas prononcé au-delà.

Les dirigeants d’EDF sont beaucoup plus volontaristes. Les ingénieurs d’EDF et d’Areva NP préparent un « EPR nouveau modèle » censé être moins coûteux (environ 30 %) et plus rapide à construire que celui de Flamanville (Manche) sans sacrifier la sûreté. M. Lévy a évoqué le nombre de 30 à 40 tranches à l’horizon 2050 pour remplacer celles qui ont été mises en service entre 1977 et 2000.

En attendant, la prise de contrôle de l’activité réacteur d’Areva par EDF est encore soumise à la levée de plusieurs hypothèques. Au cours de l’été, l’Autorité de sûreté nucléaire doit dire si la cuve de l’EPR de Flamanville, qui présente des défauts de forgeage (fortes concentrations de carbone), est bonne pour le service. Faute de quoi c’est la centrale qui pourrait être remise en cause.

Bruxelles doit se prononcer sur cette restructuration

De plus, au terme d’audits sur la qualité approfondis menés par Areva, EDF et des experts indépendants, le gendarme du nucléaire devra aussi dire si les usines du Creusot, de Chalon - Saint-Marcel (Saône-et-Loire) et de Jeumont (Nord) sont capables de fournir de grands équipements nucléaires parfaitement sûrs.

Enfin, Bruxelles doit se prononcer, dans les prochaines semaines, sur cette restructuration de la filière française et s’assurer qu’elle n’enfreint pas les règles de la concurrence. Les services de la Commission peuvent approuver l’opération avec ou sans conditions, voire ouvrir une enquête approfondie qui pourrait durer jusqu’au début de l’automne.

Il reste que les marques d’intérêt pour Areva NP d’investisseurs tels que MHI et Assystem constituent un bon point. Ils peuvent convaincre Bruxelles qu’en recapitalisant à la fois EDF (4 milliards) et Areva (4,5 milliards), l’Etat français ne cherche pas à sauver un canard boiteux mais à relancer une filière d’avenir.