« Un vote FN dans le 13e ? Ah non, je ne pense pas. » Nicole est catégorique. Cette quinquagénaire habite depuis plus de vingt ans dans cet arrondissement populaire du sud-est parisien et elle n’a jamais entendu parler d’une quelconque tendance Front national (FN). Pourtant, de tous les arrondissements de l’Est parisien, traditionnellement à gauche, le 13e est celui où l’on vote le plus pour le parti d’extrême droite.

Au premier tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen y a fait son meilleur score de la capitale, avec 6,48 %, contre 4,99 % à l’échelle de la ville. Au second tour, elle y a atteint 12,08 % – quand le reste de la ville plafonnait sous 11 % –, réalisant le troisième meilleur score par arrondissement, derrière le 16e (12,63 %) et le 15e (12,54 %), historiquement plus à droite. Déjà en 2012, le FN faisait son meilleur score dans le 13e, avec 7,43 %, quand le reste de Paris donnait à peine 6 % au parti frontiste.

Trois bureaux de vote se distinguent. Les bureaux 21 et 22, en périphérie est de l’arrondissement, ont voté à hauteur de 13 % pour le FN au premier tour et respectivement à 19,65 % et 22,75 % au second. Dans le bureau 46, près du stade Charléty, la candidate engrange presque 26 % des voix. Le meilleur score de la capitale pour le FN.

Le vote militaire plutôt favorable au FN

Pour Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégie d’entreprises de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), une explication possible est la présence de « la caserne » : le numéro 56 du boulevard Kellermann accueille des bâtiments réservés à la garde républicaine. Même s’il estime qu’il faut rester prudent et qu’il y a plusieurs clés de lecture, ce spécialiste assure que, dans les endroits à proximité d’une caserne, à Paris comme en province, on note une surreprésentation du vote frontiste.

Dans le 5e arrondissement de la capitale, dans le bureau numéro 13 par exemple, à proximité duquel se trouve la caserne Monge, Marine Le Pen a remporté près de 16 % des voix, quand l’ensemble de l’arrondissement lui a donné 9,55 % des suffrages. Dans le bureau numéro 10, du 7e arrondissement, à proximité de la caserne Babylone, le FN atteint plus de 16 %, contre 11,93 % à l’échelle de l’arrondissement.

Aux alentours des bureaux 21 et 22 du 13e, il n’y a pas de caserne. Mais de l’autre côté du boulevard Masséna, on trouve une cité militaire. Plusieurs bâtiments en briques rouges, cerclés de grilles noires avec, à l’intérieur, des espaces verts et boisés pour les enfants, plutôt rares dans un arrondissement cerné par des tours surdimensionnés. Les 420 logements de cette cité sont réservés au personnel du ministère de la défense, administratif ou militaire. Tous votent au bureau 21.

« Pour vivre ici, il faut travailler dans l’armée », explique Brigitte, 55 ans, femme de militaire. « C’est une résidence très homogène, explique-t-elle. On vote à droite ici, mais le FN ? Je ne sais pas, cela s’explique peut-être par l’environnement. » Une autre habitante de la cité avance que cette population, orpheline de la droite s’est peut-être tournée vers le FN.

Un peu plus loin, dans la circonscription du bureau 22, se trouve une caserne de pompiers. « On est pas mal à vivre ici », glisse un homme, refusant d’en dire plus, à l’image des habitants de ces logements de fonction qui gardent le silence.

« Tropisme frontiste marqué »

Pour Jérôme Fourquet de l’IFOP, la cité militaire et la caserne de pompier expliquent pour une part ce vote importnt en faveur du Front national. « Les fonctionnaires en uniforme ont un tropisme frontiste marqué, assure-t-il. Les pompiers de Paris sont des militaires et ont un quotidien professionnel qui peut les rendre sensibles au discours FN. »

Le maire du 13e, Jérôme Coumet (PS), a conscience que l’extrême droite est plus forte dans son arrondissement que dans le reste de la capitale. « Je constate que cela se perpétue, mais je ne me l’explique pas. » Néanmoins, l’édile admet que la présence de personnel militaire « influence un peu la moyenne générale ». Mais il se refuse à toute généralisation, préférant parler de « possibles microclimats » de vote en faveur du FN.

Cette tendance réjouit sans surprendre à la permanence parisienne du Front national qui se trouve… dans le 13e. « Les bureaux de vote avec un grand nombre de militaires votent traditionnellement FN, assure un militant. Les gens qui maintiennent l’ordre sont plus sensibles aux thèses du parti. »

Un facteur parmi d’autres en périphérie

Si le vote militaire peut expliquer en partie ces résultats, il ne doit pas masquer d’autres facteurs. « Cela se ressent d’autant plus dans le 13e, car il y a plus de votes Front national dans les bureaux de vote près du périphérique », tient à préciser Jérôme Fourquet. Les habitants en périphérie de la capitale, tout particulièrement dans l’est, se prononcent plus nettement pour le FN que le reste des Parisiens.

Dans le 19e arrondissement, les bureaux de vote en périphérie (les numéros 18, 20 ou 40) placent Marine Le Pen à hauteur de 16 %, alors que l’ensemble de l’arrondissement ne donne qu’à peine 10 % au FN. A l’image de bureaux adjacents au périphérique du 18e (numéros 44 et 65) qui donnent plus de 20 % à la candidate frontiste quand l’arrondissement ne lui accorde que 9,5 %. On retrouve de tels exemples dans le 12e (bureaux 43 et 45) ou encore dans le 20e (bureaux 30, 31 ou 32).

Plusieurs facteurs permettent de comprendre ce vote périphérique d’après Jérôme Fourquet. Sur ces territoires, on trouve majoritairement des logements HLM, avec une population plus paupérisée, qui constitue l’électorat traditionnel du FN. Par ailleurs, une partie de cette population « issue de l’immigration vieillissante » et donc française depuis quelques générations, est confrontée à l’arrivée d’une nouvelle immigration. Enfin, ces bureaux de vote se trouvent dans des quartiers éloignés du centre de la capitale et un peu marginalisés. « Si ponctuellement on rajoute une caserne ou des logements de fonction militaires, cela fait gonfler le vote FN », conclut Jérôme Fourquet.