Emmanuel Macron lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, à Paris, le 10 mai 2017. | REUTERS

« Une élection française est la chose pour laquelle tout le monde se sent légitime, voire obligé de donner son avis », me disait un jour quelqu’un. En Afrique francophone, toute la campagne électorale française a généré une flopée de réactions. Le soir du débat entre les deux candidats a constitué un moment de déclic personnel lorsque j’ai vu des réactions épidermiques d’Africains sur la Toile concernant l’une ou l’autre des propositions que les candidats formulaient. Or cette confrontation télévisée n’avait aucune once d’importance pour nous. Un homme et une femme devisaient sur leur pays et nous les suivions pendant trois heures…

Il faut peut-être se rendre à l’évidence d’une chose : personne n’attendait notre avis sur cette élection. En dehors des binationaux et des immigrés directement concernés par les orientations politiques de tel ou tel candidat, il est curieux pour les autres de vivre en Afrique et parfois de n’avoir jamais mis les pieds en France, mais de se sentir obligé de donner des prescriptions de vote sur un scrutin qui ne nous concerne pas.

Or, ayant lu beaucoup de contributions souvent très virulentes ou totalement joyeuses d’Africains, j’imagine l’agacement d’un Français qui a, lui, la responsabilité de choisir celui qui devra gouverner son pays, et qui se passerait bien de nos opinions. D’autant plus que le commun des Français ne prend pas partie pour l’un ou l’autre des candidats lors de scrutins dans nos pays.

Une caste corrompue

Etant très ouvert sur la question de l’identité, je pense tout de même que le titre de citoyen est sacré, avec ses attributs les plus élevés, qui sont pour moi le droit de vote et le devoir de payer ses impôts. Quand on ne vote pas en France et qu’on n’y paie pas ses impôts, on devrait se taire sur ses élections.

Les démocraties africaines iraient certainement mieux si tous ces « grands spécialistes » des élections françaises s’étaient davantage intéressés à la matière électorale dans leur propre pays. La passion et l’énergie consacrées à s’occuper des affaires intérieures d’un Etat tiers seraient très utiles à mettre au service de nos propres causes. Mais hélas, nous avons tendance à délaisser la question politique à une caste corrompue, interchangeable et en total déphasage avec les défis actuels et futurs du continent.

Il faut néanmoins reconnaître que les jeunes Africains s’intéressent à ce qu’il se passe en France peut-être par dépit, car, concernant la politique de leur propre pays, ils ont déchanté. Beaucoup de nos scrutins ne sont guère transparents, et de toute façon une alternance entraîne peu souvent les ruptures qualitatives espérées. L’élection en Afrique ne change souvent pas grand-chose. Ailleurs, si.

Il y a donc un effet systémique à mon avis qui existe : s’intéresser massivement à la chose politique dans nos pays et s’y impliquer, c’est rendre possible la transparence des processus électoraux, le changement de personnel politique, dont la position actuelle n’est pas une fatalité, et la capacité de créer un futur désirable pour les Africains.

La même continuité

Nous récusons souvent – et à juste titre – l’ingérence des dirigeants politiques et économiques français sur nos affaires intérieures, quand ils distribuent notamment les bons ou mauvais points aux uns et aux autres, voire quand ils s’immiscent dans nos élections. En se mêlant de leur processus électoral, nous appliquons exactement la même chose, sauf que nos prises de position publiques, en sus de leur caractère non indispensable, sont totalement vaines.

Sur le plan géopolitique, et Yann Gwet le souligne pertinemment dans sa dernière chronique au Monde Afrique, l’issue de cette élection française ne changera rien au fond dans les rapports entre l’Afrique et la France. On aura la même continuité, à peu de chose près. Ce rapport vicié souvent, tragique parfois, passionné toujours, entre Paris et le continent persiste, car aucun dirigeant de part et d’autre ne veut d’une rupture radicale et de l’établissement de nouvelles relations d’égal à égal.

Personnellement, j’ai toujours commenté sans gêne, et je ne sais pour quelle étrange raison, la politique française, m’autorisant même des prises de position. Il faut reconnaître avec le recul que c’était ridicule. Pis, j’imagine comment j’ai pu agacer, blesser, voire choquer des amis français qui se passeraient bien de mon avis. Je leur demande pardon.

Néanmoins, je pense qu’une candidate dont le socle idéel est d’opposer les uns les autres selon leur origine, leur foi ou leur couleur de peau n’est pas le meilleur choix pour la France. Tiens, personne n’a non plus sollicité cet avis ! J’aurai dû le garder pour moi.

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.