Après l’annonce des résultats le 7 mai, Emmanuel Macron a investi la place du Carrousel du Louvre. Un choix symbolique fort. | Emeric Fohlen/Hans Lucas

Depuis l’épisode du Fouquet’s que le président Sarkozy traîna comme un boulet bling-bling tout au long de son quinquennat, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron était en quête de la performance zéro défaut, le 7 mai. « J’ai trouvé que c’était une soirée digne. Il n’y avait pas de people, pas de chanteurs, et pas de politiques autour d’Emmanuel Macron sur l’estrade. C’est un mélange de Mitterrand au Panthéon et d’Obama à son arrivée à la Maison Blanche. Quelque chose de solennel et de sobre. C’est politiquement astucieux. Le choix du Louvre : c’est le choix de mêler tradition et modernité. L’hommage à Mitterrand et au génie français. Avec cette pyramide qui pointe vers le ciel. Un regret : Macron n’est pas descendu de son estrade pour saluer la foule, comme avait pu le faire Chirac. C’est resté très distant. C’est vraiment la monarchie républicaine. »

Ce compte rendu de lendemain de soirée est signé Jean-Louis Debré, ancien ministre, et connaisseur de ces émotions uniques puisqu’il fut présent aux côtés de Jacques Chirac lors de ses deux élections. « En 1995, il n’était pas question d’organiser une grande fête, poursuit-il. Ce n’était pas encore dans l’air du temps. » Car si les mises en scène postélections ne sont pas une institution de la Ve République, elles font désormais partie intégrante du message que l’on veut adresser à la nation.

Un condensé des cérémonies de ses contemporains

En cela, on peut considérer que le tout nouveau président de la République connaît ses classiques, en littérature comme en histoire : ses victoires, aux deux tours de l’élection présidentielle, il les a célébrées en condensant les cérémonies triomphales de ses contemporains. L’auto-anoblissement de François Mitterrand au Panthéon en 1981 – qui eut lieu le jour de son investiture –, revisité avec la solennité de la marche napoléonienne au pied des Pyramides. Le tape-à-l’œil déplacé de Nicolas Sarkozy au Fouquet’s en 2007, écho à l’allégresse anticipée de la Rotonde. La grande parade motorisée dans les rues de la capitale comme Jacques Chirac en 1995. Ce dernier s’éclipsait promptement à chaque élection, se souvient sa fille Claude Chirac, « pour aller se coucher ». En 1995, il s’accorde simplement un bain de foule avec ses sympathisants devant le QG de campagne de l’avenue d’Iéna. Et sèche la fête place de la Concorde.

En 2002, rappelle Debré, des consignes de retenue avaient été données. « Vu les circonstances… Il ne fallait pas pavoiser. Il a pris la parole à la République, de façon assez sommaire car il pleuvait à torrent et il est retourné à l’Elysée. » N’était pas encore venu le temps des rassemblements populaires encadrés au millimètre avec chanteurs, danseurs, DJ et intervention soigneusement préparée par le nouvel élu. Le temps où le gagnant du second tour rejoint ses supporteurs. Nicolas Sarkozy et François Hollande s’y conforment, l’un à la Concorde en 2007, l’autre à la Bastille en 2012, restée comme la place de la première victoire de François Mitterrand.

« Opération Bastille » à l’insu de Mitterrand

Ce 10 mai 1981, tandis que le candidat socialiste est à Château-Chinon – il fait la sieste, regarde le foot, entretient ses proches de la pluviométrie du Morvan –, Paul Quilès, alors son directeur de campagne, monte clandestinement « l’opération Bastille ». Mitterrand n’est pas au courant, et « il s’en fiche ». Il a juste lancé à son collaborateur : « Puisque vous répétez partout que je vais gagner, organisez une fête si vous voulez, mais je ne veux pas en entendre parler. » Quilès voit grand. « Et si on reprenait la Bastille ? », songe-t-il entre les deux tours. Il réserve un podium et invite quelques artistes (Bernard Lavilliers, Francis Lalanne).

En 1981, le président François Mitterrand imprime sa marque le jour de son investiture, le 21 mai, en déposant une rose sur le tombeau de Jean Jaurès, au Panthéon. | AFP

Le soir du 10 mai, la Préfecture de police n’est prévenue qu’à 18 h 45. Il faut tout monter dans l’urgence : le podium, les écrans géants, les spots, les enceintes… « Bref, une installation digne du backstage d’une salle moderne de concert, se souvient Quilès. Cela n’avait jamais encore été fait dans un cadre politique. » Cela deviendra la norme. A l’annonce des résultats, le premier secrétaire du Parti socialiste Lionel Jospin, enfin prévenu, invite les Parisiens à la Bastille. La foule afflue. Les CRS sont pris de panique, ils ont peur que le président, qui a quitté Château-Chinon en voiture, ne débarque. Quilès les rassure : il n’a jamais été question de le faire venir – même si la mémoire collective le situe à Bastille le soir de sa victoire. La réélection de Mitterrand en 1988 fut moins festive, se souvient Michel Charasse. « Il y a eu un pot à l’Elysée. Le président a passé la soirée dans son bureau. Il nous avait recommandé d’être modestes et de ne pas nous exciter. »

La nuit du 10 mai 1981

Election : le film de la nuit

Avant 1981, les journalistes se posent à peine la question de savoir ce que font les présidents le soir de leur victoire. En 1974, un mince article du Monde relate la soirée de Giscard d’Estaing élu – privatisation de la rue de la Bienfaisance, dans le 8e, en plein triangle d’or parisien, un buffet assez généreux pour nourrir l’arrondissement, les rumeurs d’une fin de soirée chez Lola, un établissement proche des Champs-Elysées… – alors que les jeunesses giscardiennes, dopées à l’enthousiasme, improvisent des embardées festives un peu partout dans le Paris chic et bourgeois.

« L’élection présidentielle, c’est suffisamment sérieux pour qu’on ne se tape pas sur l’estomac après. L’existence des citoyens est en jeu, il n’y a pas de quoi prendre un verre. » Marie-France Garaud en juin 1969, alors conseillère de Pompidou

Une exubérance qui s’estompe si on remonte encore dans le temps. Le 17 juin 1969, une petite foule se rassemble au pied des bureaux de Georges Pompidou dans le 7e arrondissement de Paris, boulevard de la Tour-Maubourg. Tout le monde s’agite à la moindre DS qui passe. Mais le président arrive tard. Il est « bronzé et rasé de frais et gaillard comme un cadre supérieur rentrant d’un week-end à Orvilliers », écrit Le Monde. Une fillette lui porte un bouquet de roses.

Vers 22 heures, il apparaît au balcon un instant, esquisse un geste des deux bras puis redescend dans la cour où il prononce une première déclaration avant de disparaître. « Où est allé le président après sa victoire ? Ça ne vous regarde pas, assène Marie-France Garaud, à l’époque conseillère de Pompidou. Toute anecdote est déplacée. Voire obscène. L’exercice du pouvoir exige un certain enfermement. L’élection présidentielle, c’est suffisamment sérieux pour qu’on ne se tape pas sur l’estomac après. L’existence des citoyens est en jeu, il n’y a pas de quoi prendre un verre. Les présidents n’allaient pas au bistrot. »

Le 19 mai 1974, la jeunesse giscardienne  fait la fête dans la capitale, tandis que leur candidat célèbre sa victoire en toute discrétion. | AFP

Et le général de Gaulle n’allait nulle part. Le jour de ses deux élections présidentielles, en 1958 et 1965, il passait même inaperçu. Jean Mauriac, journaliste à l’AFP affecté auprès du général de Gaulle, raconte : « C’était entièrement privé. Personne ne savait ce que le Général faisait et, surtout, personne ne se serait permis de lui poser la question. Le soir de la victoire, il était confiné à La Boisserie. » Où il s’est sans doute accordé une réussite avant d’aller se coucher avec « Tante Yvonne ».