Patrice Sinoquet, délégué syndical CFDT, le 18 avril. | BENOIT TESSIER / REUTERS

Avec son anneau à l’oreille, ses tatouages sur les avant-bras et sa voix pour porter la colère des salariés de Whirlpool, Patrice Sinoquet est devenu en quelques semaines l’un des visages de la contestation sociale dans l’usine d’électroménager d’Amiens.

Mais devant les caméras de télévision, jeudi 27 avril, le délégué syndical CFDT, secrétaire du CHSCT de l’entreprise, avait créé la polémique en revendiquant sa préférence pour la candidate du Front national, Marine Le Pen, par rapport à Emmanuel Macron. Un message politique qui avait créé l’embarras dans son syndicat.

Le bras de fer avec la CFDT

« J’estime avoir le droit d’avoir des convictions et de les rendre publiques si on me le demande. C’est ce que l’on appelle la démocratie je crois et je continuerai à voter FN », avait dit le syndicaliste, précisant que son choix politique n’avait pas été « ébranlé » par la campagne.

Ces propos avaient vivement fait réagir le secrétaire national de la CFDT, Frédéric Sève, qui avait évoqué la possibilité d’une « exclusion » du syndicaliste, estimant que ce dernier s’était « égaré ». « On ne peut pas avoir un mandat CFDT et faire la propagande du FN », avait-il tranché. Se disant « prêt à démissionner », Patrice Sinoquet avait rapidement répliqué : « Le choix de mon vote, c’est mon choix et ce ne sera pas la CFDT qui me fera changer d’avis. »

Malgré ce regain de tension, le délégué syndical ne sera finalement pas sanctionné par sa centrale, selon les informations recueillies par France Info, vendredi 12 mai. Un entretien entre Patrice Sinoquet et le syndicat Métaux Somme de la CFDT a été organisé, où a été « réaffirmée la volonté de la CFDT de lutter contre le FN ». Patrice Sinoquet dit « avoir craqué sous la pression des médias » et déclare « porter avec conviction les valeurs » de son syndicat. Il assure également n’avoir « jamais milité pour les idéologies totalitaires » du Front national.

Ce compromis entre le syndicaliste et sa centrale tranche avec la stratégie adoptée jusqu’à présent par la CFDT, et par la majorité des syndicats dans leur relation avec le Front national.

Face-à-face entre Le Pen et Macron à Whirlpool : le récit en images
Durée : 03:13

Une neutralité de principe, sauf contre le Front national

Officiellement, les syndicats maintiennent une relative neutralité politique, surtout en temps d’élections. Dans les faits, la pratique veut ainsi qu’il n’y ait pas de consigne de vote donnée aux membres du syndicat avant les scrutins.

Un principe cependant régulièrement mis à l’épreuve des faits. En 2012, pour la première fois depuis vingt-quatre ans, Bernard Thibault, alors secrétaire général de la CGT, avait ainsi appelé à voter contre le président sortant, Nicolas Sarkozy. « Je pensais qu’un syndicat servait à défendre les salariés et pas à faire de la politique », avait alors rétorqué le candidat de l’UMP.

En dehors de cet événement, le principe de neutralité politique connaît une autre exception de taille : celle du rejet constant du Front national. En 2002, avant le second tour de l’élection présidentielle, mais aussi plus récemment, en 2015, avant les élections régionales, ou avant le deuxième tour de dimanche, la CFDT, la CGT, la CFTC, la FSU et Solidaires ont exhorté leurs adhérents à « faire barrage » à l’extrême droite.

Les idées du FN « constituent une menace pour la démocratie, la solidarité, la justice sociale et l’égalité que la CFDT défend quotidiennement », justifiait ainsi la confédération, devenue fin mars le premier syndicat de France, dans un communiqué expédié dès le soir du premier tour.

Plusieurs procédures d’exclusion

Jusqu’à présent, la position des syndicats était donc relativement simple : la cohabitation entre engagement syndical et encartement Front national était impossible. « La CGT est intransigeante » à ce sujet, répétait ainsi son numéro un, Philippe Martinez, rappelant le précédent très médiatisé de Fabien Engelmann, élu en 2014 maire FN de Hayange (Moselle) et exclu de la centrale syndicale.

Fabien Engelmann, le 16 décembre 2014, à Hayange (Moselle). | FREDERICK FLORIN / AFP

Même constat à la CFDT. Pour les départementales, la confédération avait ainsi radié deux adhérents candidats FN – l’un en Vendée et l’autre dans le Jura. Le syndicat s’est trouvé par ailleurs confronté au cas d’un juge prud’homal CFDT de Paris, Dominique Bourse-Provence, candidat FN aux dernières municipales, auquel elle a demandé de démissionner du syndicat.

« Pour la CFDT, le Front national n’est pas un parti comme un autre », justifiait Jean-Louis Malys, membre de la direction. Mais « on n’est pas dans une logique de chasse aux sorcières », se défendait-il. Toutefois, si un adhérent « revendique bruyamment son appartenance » au FN, « on lui demande d’être cohérent et de choisir », précisait-il.

Des procédures d’exclusion qui n’ont pas manqué de faire réagir le Front national, qui s’en prend régulièrement à la politique du « deux poids, deux mesures ». Le parti souligne en effet qu’aucune procédure d’exclusion n’a été prise contre les syndicalistes qui se présentaient sur d’autres listes que celles du Front national.

L’exception Force ouvrière

Le syndicat Force ouvrière (FO) dénote fortement dans cette stratégie anti-FN. Fidèle à sa tradition de stricte indépendance politique, son secrétaire général, Jean-Claude Mailly, refuse de donner toute consigne de vote, y compris avant le second tour de l’élection présidentielle. Il a simplement rappelé dans un communiqué son « rejet de tout racisme, xénophobie ou antisémitisme ».

Un positionnement dont n’a pas manqué de se féliciter le Front national. « Contrairement aux autres syndicats, chez Force ouvrière, ils sont ouverts et respectueux », a ainsi commenté Florian Philippot, le numéro deux du parti frontiste. Selon lui, la troisième organisation syndicale française serait « moins sectaire » que les autres syndicats vis-à-vis de son parti.

Selon les sondages, c’est chez les sympathisants FO que l’on trouve le plus d’électeurs frontistes. D’après une étude Harris Interactive publiée au lendemain du premier tour, 24 % des proches de FO qui ont voté dimanche ont donné leur voix à Marine Le Pen. Loin devant les sympathisants de la CGT (15 %), de la CFTC et de l’UNSA (14 %), de la CFE-CGC et de SUD-Solidaires (13 %), de la FSU (9 %) et de la CFDT (7 %).