Les joueurs des Saracens après leur victoire en coupe d’Europe de rugby en 2016. | PHILIPPE DESMAZES / AFP

Un duel face à un ogre loin d’être rassasié. A Murrayfield, samedi 13 mai, pour sa troisième finale de Coupe d’Europe, Clermont ne sera pas favori face aux Saracens. Malgré une éclosion tardive symbolisée par leur premier titre de champion d’Angleterre en 2011, les Anglais s’avancent comme les épouvantails de la compétition.

Pour Abdelatif Benazzi, ancien capitaine de l’équipe de France qui a évolué outre-Manche, il n’y a pas débat : « C’est la meilleure équipe européenne. » Vainqueurs du Racing 92 l’an dernier en finale, les Anglais n’ont plus connu le goût de la défaite européenne depuis une demi-finale perdue en 2015 face à… Clermont, soit 17 matchs. Pourtant, tout n’a pas été aussi simple pour le club londonien, comme le rappelle Benazzi : « Ils ont décidé d’être les meilleurs mais ça a pris du temps, avec différentes phases. » Après plusieurs échecs successifs, les Saracens ont su être patients pour tirer aujourd’hui les bénéfices d’un changement progressif de philosophie.

French touch

Club créé en 1876 par les membres d’une école philologique, les Saracens – « Sarrasins » en français – ont opté pour ce nom dans le but de se distinguer du club voisin de l’époque, les Crusaders (les « Croisés »). Et peu importe si les deux clubs ont fusionné deux ans plus tard. Le chapeau en feutre rouge, le fez, porté par les supporteurs depuis 1997, est l’héritier de cette volonté de se démarquer, dans une capitale londonienne qui compte deux clubs de rugby professionnel (Saracens et Harlequins) et quatre autres en deuxième division.

Après un siècle de quasi-anonymat rugbystique au cours duquel il voyage de stade en stade (neuf au total) et alors qu’il est au bord de la relégation, le club opère sa première mue. En 1995, le rugby professionnel est encore balbutiant quand l’homme d’affaires millionnaire Nigel Wray rachète les Saracens et opte pour une politique de recrutement à coups de millions. Il fait venir les stars de l’époque comme Michael Lynagh, Kyran Bracken et Francois Pienaar, et crée une passerelle entre les joueurs sud-africains et le championnat d’Angleterre. Il insuffle également une french touch avec des joueurs comme Philippe Sella, Alain Penaud ou Christian Califano.

S’ils sont perçus comme des « coups médiatiques », Abdelatif Benazzi explique que ces transferts faisaient partie intégrante de la stratégie. Thomas Castaignède, qui a passé sept ans chez les Saracens, confirme : « Il y a eu des tâtonnements mais à cette époque la priorité était de faire connaître le club, en faire une marque mondiale et avoir des résultats rapidement. » Malgré une Coupe d’Angleterre (1998) qui laissait présager un avenir brillant, les résultats se font attendre.

« Saraboks »

Au début des années 2000, le rugby anglais brille grâce à ses clubs historiques comme les Wasps ou Leicester. L’arrivée du capitaine des champions du monde sud-africains Francois Pienaar comme manager (en 2002) lance la deuxième étape de la transformation. La venue de Johann Rupert, un investisseur sud-africain, en 2008, accélère cette dynamique. En 2009, l’ancien international springbok Brendan Venter prend la tête de l’équipe et débarque avec Edward Griffiths, ancien de la SARU (Fédération sud-africaine) et 14 de ses compatriotes (dont John Smit, Petrus du Plessis, Shalke Brits, Mouritz Botha) dans ses bagages.

« Brendan Venter a su recréer une dynamique au sein du club, avec un code d’éthique qui a ensuite été repris par les anciens. Ils se sont adaptés aux échecs, c’est la marque des grandes équipes », explique Thomas Castaignède. Critiquée par la RFU (la Fédération anglaise de rugby) pour ses choix, l’équipe est vite affublée du surnom de « Saraboks ». « Les Saracens ont été jalousés mais finalement ils ont toujours été en avance. Nigel Wray considère le club comme une entreprise mais il ne délaisse pas l’humain, il est très proche de ses joueurs, il sait les valoriser. C’est un club très familial », affirme Castaignède.

En demi-finale, les Saracens se sont défaits facilement des Irlandais du Munster. | Clodagh Kilcoyne / REUTERS

Las d’être réduits à cette étiquette de « Saraboks », les Sarries ont décidé de changer de cap. Tout en conservant une légère teinte springbok – l’effectif compte encore six joueurs sud-africains – les dirigeants ont progressivement mis l’effort sur le recrutement d’internationaux anglais (Chris Ashton, Alex Goode). Autre changement majeur : la priorité accordée à la formation, grâce au club de Bedford, succursale des Saracens évoluant en deuxième division. L’ouvreur Owen Farrell et la pépite Maro Itoje ont tous les deux fait leurs classes à Bedford avant d’intégrer l’équipe première.

Au sommet du rugby européen

Le reste de l’effectif, organisé autour de rotations prévues deux à trois semaines à l’avance, est tout aussi impressionnant. Les frères Billy et Mako Vunipola, Jamie George, Alex Goode, George Kruis, tous ont pris part à la série record des 18 victoires consécutives du XV de la Rose. Avec six joueurs retenus pour disputer la prestigieuse tournée des Lions britanniques, les joueurs des Saracens constituent la délégation la plus importante.

Grâce à leur modèle équilibré, les Saracens se sont imposés au sommet du rugby anglais et européen : « Ils se sont dotés d’un centre de performance et ils ont mis en place une organisation managériale avec deux à trois fois plus de personnes autour des joueurs qu’en France, c’est vraiment le modèle à suivre », détaille Benazzi. Le tout en tirant profit des exigences de la Fédération anglaise, qui oblige les internationaux à évoluer dans des clubs anglais et offre un avantage financier aux clubs qui font jouer des joueurs anglais à des postes ciblés (pilier, demi d’ouverture, demi de mêlée).

Si sur le terrain les racines d’un jeu à la sauce sud-africaine sont toujours prégnantes, les Saracens se sont diversifiés en complétant cet héritage : « Ils ont beaucoup de puissance mais ils savent mettre aussi beaucoup de vitesse. Ils savent alterner et c’est la marque de fabrique des grandes équipes. » Pour Abdelatif Benazzi, Clermont a toutefois les atouts pour faire déjouer cette équipe : « Ils devront être très forts défensivement, multiplier les temps de jeu, les faire jouer, les déplacer. » Et surtout répondre présent dans le combat. Il faudra au moins ça aux Clermontois pour enrayer une machine anglaise en pleine confiance et remporter le centième match européen de leur histoire.