Si le procès de l’affaire dite « Sonatrach I », qui s’est déroulé de décembre 2015 à février 2016 au tribunal criminel d’Alger, n’a pas fait toute la lumière autour de l’un des accusés, Mohamed Reda Meziane, de nouvelles informations viennent éclairer les zones d’ombre qui subsistaient sur le patrimoine financier du fils de Mohamed Meziane, l’ancien PDG de l’entreprise pétrolière publique algérienne.

Cet homme de 45 ans avait été condamné à six ans de prison ferme – purgés en détention préventive – et à une amende de 2 millions de dinars (environ 16 700 euros) pour corruption et blanchiment d’argent, mais l’instruction n’était pas parvenue à recenser l’ensemble des biens et de l’argent présumés mal acquis par les inculpés. Or, d’après des documents obtenus dans le cadre du projet « Panama Papers », il apparaît que Mohamed Reda Meziane a pu cacher au moins un compte en Suisse à la police judiciaire et aux magistrats instructeurs.

Les faits remontent aux années 2000, quand l’embellie financière engendrée par la flambée des prix du pétrole avait permis à l’Etat algérien de lancer d’importants programmes d’investissements publics, donnant lieu à des faits de corruption. Cette affaire et, plus tard, l’enquête « Sonatrach II » ouverte à Milan, en Italie, avaient révélé une partie du système mis en place par des responsables du ministère algérien de l’énergie et par le management de Sonatrach pour capter des commissions sur les contrats engageant la compagnie nationale.

Une coquille vide aux îles Vierges britanniques

Lors de son audition par le juge d’instruction, Mohamed Reda Meziane avait déclaré qu’il disposait, à Paris, de trois comptes dans trois banques différentes (Barclays, Crédit lyonnais et Crédit agricole) et qu’il avait cédé son appartement parisien à ses deux enfants nés d’un premier mariage avec une Française. Mais des documents obtenus dans le cadre du projet « Panama Papers », mené par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) avec plus de 100 rédactions (dont Le Monde), montrent qu’en décembre 2008, M. Meziane avait ouvert un autre compte, dans une agence genevoise de Crédit suisse cette fois-ci, par le biais de la société fiduciaire Junod, Muhlstein, Lévy & Puder (JMLP). Dans les livres de Crédit suisse, le fichier d’information clients de Mohamed Reda Meziane est répertorié sous le numéro 153729.

Ce n’est pas tout. Selon les documents obtenus par le projet « Panama Papers », la société JMLP a recouru aux services du cabinet panaméen Mossack Fonseca pour cacher le compte sous une coquille vide domiciliée aux îles Vierges britanniques, Jaxia Associates Inc. Cette compagnie offshore, dissoute en avril 2010 quand Mohamed Reda Meziane était en prison dans le cadre de l’instruction, a été administrée à partir de décembre 2008 par une autre société écran, Capfid Management Services SA, panaméenne celle-là et enregistrée sous les noms des gestionnaires de fortune de la société JMLP.

« En raison de notre secret professionnel, nous ne sommes pas en mesure de répondre à vos questions. Les faits sur lesquels vous vous basez sont inexacts et vos déductions incorrectes. Notre activité a toujours été parfaitement conforme aux lois et aux règles de notre profession. Vous répondrez de tout dommage que vous pourriez causer en publiant des informations qui nous mettraient en cause », a répondu par courriel Me Michel Muhlstein, de la société JMLP.

De 2006 à 2009, des contrats fictifs

Au moment de l’ouverture de ce compte au Crédit suisse, Mohamed Reda Meziane était lié par un contrat de consulting avec Saipem Contracting Algérie, filiale locale du géant énergétique italien ENI, condamnée dans l’affaire « Sonatrach I » à une amende de 4 millions de dinars (33 300 euros) pour « majoration des prix en mettant à profit l’autorité et l’influence des agents d’un établissement à caractère industriel et commercial ». Selon ce contrat, M. Meziane était tenu, entre autres, d’informer l’entreprise des projets de Sonatrach dans le génie civil pétrolier et de lui fournir les données susceptibles de l’aider dans la préparation des offres techniques et commerciales. L’instruction avait conclu que les contrats liant M. Meziane à Saipem de 2006 à 2009 étaient fictifs. Selon le magistrat instructeur, il n’y avait aucune trace de cette collaboration dans les archives de l’entreprise, hormis les reçus de paiement de ses honoraires.

Dans l’affaire « Sonatrach I », Mohamed Reda Meziane était aussi poursuivi, au même titre que son père, Mohamed Meziane, et que son frère, Bachir Faouzi Meziane, pour le rôle joué dans l’attribution au groupement germano-algérien Contel-Funkwerk de cinq commandes publiques pour doter les installations de Sonatrach d’un système de télésurveillance, pour un montant total de 11 milliards de dinars. En 2008, il avait bénéficié à titre gracieux d’un cinquième des actions dans le capital de Contel Algérie, qu’il avait ensuite rétrocédées au patron de l’entreprise, Mohamed Reda Djaafar Al-Ismaïl, pour un montant de 1,2 million de dinars.

C’est ce même Mohamed Reda Djaafar Al-Ismaïl qui avait financé l’acquisition en novembre 2008, pour un montant de 650 000 euros, d’un appartement de cinq pièces sis rue de Bagatelle, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), au nom de Koucem Djerroud, la défunte mère de Mohamed Reda Meziane. Les arguments de ce dernier, prétendant que son association avec M. Al-Ismaïl était légalement établie, n’avaient pas convaincu le tribunal, qui avait conclu que le patron de Contel Algérie et ses partenaires allemands avaient bénéficié de l’influence de Mohamed Reda Meziane et de son père pour décrocher les marchés de télésurveillance et que l’argent perçu par M. Meziane était une rémunération indue.

Des pourvois en cassation ont été introduits par les neuf personnes condamnées dans cette affaire ainsi que par le ministère public, dont le recours porte sur les acquittements prononcés à l’encontre de sept accusés et sur le sursis bénéficiant à l’ancien PDG de Sonatrach. L’affaire est pendante devant la Cour suprême.

A lire demain Les petites cachotteries d’Ali Benouari

Les « Panama papers » en trois points

  • Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
  • Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
  • Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

Cette enquête de Lyas Hallas a été coordonnée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde est partenaire, sur la base des documents « Panama papers » obtenus par la Süddeutsche Zeitung.