Peintes par Manuel González Méndez, « La Remise de la princesse » et « La Fondation de Santa Cruz de Tenerife » décorent la salle du Parlement des îles Canaries depuis qu’il existe. | Europa Press

De longues tresses blondes entourent son visage enfantin. Le regard dans le vide, elle tend la main, que prend un soldat castillan. Arminda Masequera, fille d’un chef guanche, le peuple aborigène qui habitait l’archipel canarien avant l’arrivée des conquistadores au XVe siècle, est offerte aux Espagnols. La Remise de la princesse, toile peinte en 1906, préside la salle du Parlement des îles Canaries depuis qu’il existe. Tout comme La Fondation de Santa Cruz de Tenerife, qui représente des soldats espagnols brandissant une croix au-dessus de moines franciscains agenouillés et terrifiés.

« Le reflet d’une extermination »

Difficile d’y voir des scènes de « fraternité bucolique », comme l’explique pourtant le site du Parlement régional. Ces toiles, qui représentent des épisodes marquants de la conquête de l’archipel, n’avaient jamais provoqué de polémique. Jusqu’à ce qu’un député nationaliste canarien, Mario Cabrera, se lance fin mars dans une croisade pour leur retrait, considérant qu’elles sont une « offense » qui n’a pas sa place dans une institution démocratique. Depuis, la polémique ne cesse de rebondir. « Ces tableaux sont le reflet de l’extermination des Guanches et de leur humiliation par les Castillans », l’a soutenu le nationaliste Lorenzo Olarte, qui fut président du gouvernement canarien de 1988 à 1991, allant jusqu’à voir le premier tableau comme celui d’un « viol » à venir.

« Juger avec les critères de notre siècle les œuvres de siècles antérieurs n’a aucun sens. » Concepcion Garcia Saiz, du Musée de l’Amérique

« Il reflète un fait historique qui ne peut pas être réécrit », assure-t-il. Quand l’Académie des beaux-arts locale estime, elle, qu’il montre l’importance de la femme dans la société aborigène canarienne, comme « dépositaire d’un héritage qui assure la continuité du peuple ». L’institution a rédigé un rapport s’opposant au transfert des peintures, considérées comme des parties intégrantes de l’édifice, lui-même déclaré « bien d’intérêt culturel ». Tout au mieux, elle propose de les cacher par des rideaux pendant les sessions parlementaires.

Une solution qui semble convaincre une majorité de députés régionaux, aussi bien des nationalistes – « car le lieu n’est pas adéquat » – que des élus de Podemos – car les toiles reflètent « une page triste de l’histoire des Canaries ». Les socialistes, même s’ils considèrent que « l’ignorance des faits historiques peut mener à des conclusions regrettables sur les tableaux », ont annoncé qu’ils ne s’opposeraient pas à la dissimulation des œuvres. Seul le Parti populaire (PP, droite) est contre.

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Cette idée n’est pas non plus du goût du directeur général du patrimoine culturel des Canaries, Miguel Angel Clavijo, qui a défendu les œuvres d’art car elles s’inscrivent dans « l’imaginaire qui prévalait à la fin du XIXe siècle sur les aborigènes et leur relation avec les conquistadores ». « Juger avec les critères de notre siècle les œuvres de siècles antérieurs n’a aucun sens », a ajouté la directrice du Musée de l’Amérique, à Madrid, Concepción García Sáiz. Dans le quotidien El País, l’archéologue Antonio Tejera n’y est pas allé par quatre chemins : « Si on décide de les cacher, il faudrait mettre des rideaux sur la moitié du pays… »