On parle beaucoup d’innovation pour expliquer comment l’Afrique pourra faire sauter les verrous qui entravent encore son décollage économique, que ce soit pour l’accès à l’énergie, à la santé, à l’éducation ou aux services bancaires. Pourtant, c’est sans doute dans l’agriculture que les innovations, à la fois financières et techniques, sont en train de transformer l’avenir de l’Afrique.

La « conservation finance », qu’on pourrait traduire par « financement de conservation de la nature », est au cœur d’un changement fondamental à l’œuvre sur le continent et promet d’apporter une solution à l’équation agricole africaine. Sur un peu plus de 5 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) investis à travers le monde dans des projets de production durable de nourriture et de fibres, près de 500 millions de dollars ont pris la direction de l’Afrique, soit près de 10 %. C’est déjà plus qu’en direction de l’Asie (467 millions de dollars).

Accaparement des terres

Rappelons que relever le défi de l’emploi et de la création de richesses dans les campagnes est crucial pour le développement de l’Afrique. La situation est éminemment paradoxale : l’Afrique importe l’équivalent de 50 milliards de dollars de nourriture chaque année alors même que plus de la moitié des terres arables non exploitées dans le monde se trouvent sur le continent ! La mise en valeur de ce potentiel agricole, à des niveaux de productivité et de compétitivité élevés, sera nécessaire si l’Afrique veut nourrir ses 2,5 milliards d’habitants en 2050… sans même parler des 10 milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre.

Jusqu’alors, les investissements agricoles ont surtout provoqué des controverses sérieuses – et fondées – sur ce qu’il est convenu d’appeler l’accaparement des terres. Les achats massifs de foncier contiennent une part de risque importante, surtout dans des pays où la population est encore pour 60 % rurale. Et l’Afrique peut apprendre des erreurs qui ont été commises dans les pays développés ou émergents en matière d’agriculture intensive et qui ont bien souvent provoqué appauvrissement des sols et détérioration des nappes phréatiques. Seul un développement inclusif des campagnes permettra à la fois de nourrir le continent, d’employer son immense population rurale et de démarrer le processus d’industrialisation par la transformation locale des matières premières agricoles.

C’est justement la promesse de cette finance agricole durable qui vise à aligner trois objectifs pour financer la transition agro-écologique en calculant trois retours sur investissement : économique, environnemental et social. Ces nouveaux projets d’investissement limitent les achats de terres et reposent sur des partenariats avec des réseaux d’agriculteurs fournisseurs qu’ils se chargent de former et dont ils centralisent la production pour rationaliser sa mise en valeur et sa distribution. L’investissement dans les sociétés d’agroforesterie participe à intensifier leurs activités tout en restaurant les terres dégradées, en protégeant les forêts et en augmentant les moyens de subsistance des agriculteurs. Au-delà de l’impact, de tels investissements, développés en étroite collaboration avec les propriétaires fonciers locaux, sont moins vulnérables à l’expropriation ou aux conflits sur l’utilisation des terres.

Agriculture durable

Le changement de paradigme à l’œuvre s’explique par trois facteurs convergents. D’abord, alors que la plupart des capitaux consacrés à la finance agricole durable provenaient jusqu’alors de sources publiques ou philanthropiques, ces projets attirent maintenant des investisseurs conventionnels (banques, sociétés de gestion, fonds de pension). Ensuite, parce que les marchés des pays riches se tournent de plus en plus vers une consommation de produits agricoles certifiés, issus d’une agriculture durable. Enfin, l’émergence économique et la croissance démographique à l’œuvre en Afrique créent des besoins à la fois pour l’alimentation des populations et l’approvisionnement en matériaux de construction comme le bois.

Aujourd’hui, le principal frein au développement de ces pratiques de financement innovantes dans l’agroforesterie n’est pas tant le manque de capitaux prêts à être investis que le manque de projets viables dans lesquels les placer. Une récente étude du cabinet de conseil en stratégie McKinsey proposait des pistes réalistes pour faire face à ce défi : les fondations, les gouvernements et les bailleurs, en plus d’apporter une aide sous forme de dons, de prêts préférentiels ou de garanties, pourraient créer des incubateurs pour aider les premiers pas des start-up du secteur. Ces incubateurs pourraient devenir des pépinières reliant les investisseurs aux projets qui répondent à leurs attentes en matière de rendement financier et d’impact environnemental. C’est à cette condition que l’Afrique fera sa révolution « doublement verte ».

Clément Chenost et Adrien Henry sont directeurs d’investissement de Moringa Partnership, un fonds d’impact spécialisé dans les projets d’agroforesterie durable en Afrique et en Amérique latine.