Si l’accord se concrétise, Atlantia, dont l’actionnaire principal est la famille Benetton, gérera 14 095 kilomètres d’autoroutes dans dix-neuf pays. | ROBIN VAN LONKHUIJSEN / AFP

Du remous sur l’autoroute. Vue d’Italie, l’opération est amicale ; vue d’Espagne, elle est non sollicitée. L’offre publique d’achat (OPA) du romain Atlantia sur le barcelonais Abertis, lancée lundi 15 mai pour créer le géant mondial des infrastructures de transport, est pour l’instant stoppée au péage. Si cette opération de 16,3 milliards d’euros se concrétise, Atlantia, dont l’actionnaire principal est la famille Benetton, gérera 14 095 kilomètres d’autoroutes dans dix-neuf pays, dont 2 000 kilomètres en France grâce à Sanef, filiale d’Abertis, numéro trois dans l’Hexagone. Pour l’Italie, ce sera la plus importante acquisition depuis le rachat voici dix ans du numéro un espagnol de l’électricité Endesa par Enel pour 42,5 milliards d’euros.

« Ces dernières semaines, nous avons travaillé à la mise au point d’une offre dont nous entendions qu’elle soit considérée comme amicale et attractive pour les actionnaires et le management des deux sociétés. Nous pensons y être arrivés », estimait le numéro un d’Atlantia, Giovanni Castellucci en présentant l’OPA. Ce n’est visiblement pas l’avis d’Abertis qui indique avoir appris lundi matin « les termes et conditions de l’offre volontaire et non sollicitée » d’achat. Et de préciser que son conseil d’administration « ne se prononcerait pas jusqu’à ce que ce soit légalement obligatoire ».

A plusieurs reprises pourtant, le groupe italien a insisté sur le fait qu’il voulait une opération « totalement amicale ». Sans l’implication de CaixaBank, principal actionnaire d’Abertis à hauteur de 24 %, « cela ne nous intéresse pas », avait ajouté M. Castellucci le 21 avril – trois jours après que l’agence Bloomberg a révélé le projet –, soulignant qu’avec Avertis il y avait « une estime réciproque ». Dans cette opération, la famille Benetton aurait 24 % du capital par l’intermédiare du groupe Edizione, et la banque espagnole 15 % du nouveau leader mondial. Toutefois, la Caixa, par l’intermédiaire de son holding Criteria qui détient la participation, a répondu qu’elle étudierait cette offre amicale, « avec soin, dans les temps et sans hâte ».

En 2006, le projet avait été bloqué par le gouvernement italien

« Je pense que les Italiens raisonnent à l’ancienne » décrypte un spécialiste du secteur. « Pour eux, il suffit d’avoir l’adhésion de l’actionnaire principal qui a une vision à long terme mais ils ont complètement oublié que les autres actionnaires sont des fonds soucieux de rentabilité et donc de prime élevée en cas d’OPA. » Or le capital d’Abertis est détenu à plus de 20 % par des fonds comme Capital Research & Management Co, ou BlackRock. Pour beaucoup, le prix serait trop peu élevé, l’offre de 16,50 euros par action étant 0,3 % supérieure au cours de clôture du vendredi 13 mai, et à peine 8 % plus élevés que le 18 avril.

La réussite de la transaction est soumise à l’apport d’au moins 50 % plus une action Abertis. Le groupe italien, qui espère clore cette opération au quatrième trimestre 2017, n’imposera pas un retrait de son homologue catalan de la Bourse de Madrid. « En cas de succès, le nouveau groupe continuera à générer un important flux de trésorerie et une capacité d’investissement qui, combiné à une présence géographique mondiale unique, en fera un partenaire en mesure de répondre encore mieux aux exigences des institutions et clients », a assuré le patron d’Atlantia.

Le projet n’est pas nouveau. Voici onze ans, en avril 2006, les deux firmes avaient décidé de fusionner, mais à l’époque, c’était l’inverse. Le siège aurait été à Barcelone et la direction confiée au patron d’Abertis. La transaction avait été bloquée par le gouvernement italien. Ce dernier avait mis son veto, estimant que la présence dans le capital d’une société de construction, ACS, contrevenait à la loi de 1997 sur les conflits d’intérêts en matière d’appel d’offres.

Atlantia gère également des aéroports

A l’époque ce rapprochement aurait donné naissance à un acteur de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires gérant 6 772 kilomètres d’autoroutes. Onze ans plus tard la taille a doublé. Le chiffre d’affaires, tout comme le réseau géré par le futur ensemble, dépasse les 10 milliards d’euros et les 14 000 kilomètres. A titre de comparaison, le numéro un français du secteur, Vinci Autoroutes pèse 5 milliards d’euros avec un réseau de concession de 7 253 kilomètres dans le monde dont 4 422 kilomètres en France.

Pour financer en partie ce rachat, Atlantia a annoncé fin avril céder 10 % de sa participation dans Autostrade per l’Italia (Aspi), pour 1,48 milliard d’euros. La moitié a été vendue à un consortium réunissant Allianz Capital Partners, EDF Invest et DIF Infrastructure IV tandis que l’autre part a été reprise par Silk Road Fund, un fonds contrôlé par l’Etat chinois.

Mais Atlantia n’est pas uniquement présent dans les autoroutes. Il gère également les aéroports de Fiumicino et Ciampino à Rome, ainsi que ceux de Nice, Cannes-Mandelieu et Saint-Tropez. En France, le groupe italien était aussi l’actionnaire majoritaire du consortium Ecomouv’ chargé de la gestion et de la perception de la taxe poids lourds. Un projet mort né, l’écotaxe ayant été supprimée en janvier 2015 par Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement.