Depuis janvier, plusieurs mutineries ont eu lieu dans les casernes de différentes villes de Côte d’Ivoire, dont Bouaké, la seconde ville du pays, et Abidjan, la capitale économique, mais aussi à Korhogo (nord), Daloa et Daoukro (centre). Les mutins réclamaient le paiement des primes qui leur avaient été promises lors de la crise post-électorale de 2010-2011 qui s’était soldée par l’accession à la présidence d’Alassane Ouattara, vainqueur du scrutin présidentiel du 28 novembre 2010, et la défaite du président sortant Laurent Gbagbo.

Les mutineries avaient momentanément pris fin avec le règlement de 5 millions de francs CFA (7 600 euros) à 8 400 soldats. Sept autres millions de francs CFA par militaire devaient être versés en mai.

Le choix du gouvernement de ne pas s’acquitter de ce complément ainsi que la cérémonie très théâtralisée retransmise le 11 mai à la télévision nationale montrant un sergent présenté comme porte-parole des mutins renonçant à ce reliquat devant le président a ravivé la colère des soldats.

Docteur en sociologie des organisations à l’université de Bouaké, Allassane Sogodogo a étudié pendant une décennie la question des enfants soldats enrôlés dans l’ex-rébellion du nord, objet de sa thèse. Il revient sur les racines du problème des mutineries en Côte d’Ivoire.

Pourquoi les mutins insistent-ils pour obtenir ces primes ?

Allassane Sogodogo Nous assistons à la poursuite de la négociation du partage du butin de guerre. Les ex-rebelles du Nord réclament leur dû. Lors de la première vague de recrutement en 2002, on leur avait dit que s’ils gagnaient, ils intégreraient l’armée et qu’ils recevraient de l’argent. Et puis il a fallu descendre sur Abidjan pour aider Alassane Ouattara à accéder au pouvoir lors de la crise post-électorale de 2010-2011. Et rappelons-nous que le chef de guerre Issiaka Ouattara, dit Wattao, avait promis aux nouveaux mobilisés une villa pour chacun. C’est le péché originel. Ils répètent : « Nous avons combattu pour ces gens-là, nous les avons mis à la tête de ce pays, et aujourd’hui, nous ne recevons rien. »

Le temps presse aussi pour ces ex-combattants. Ils rappellent qu’Alassane Ouattara est dans son deuxième et dernier mandat. Une fois parti, qui leur paiera ce qu’on leur doit ?

La révision de leur grade revient souvent dans leurs revendications…

Une partie des mobilisés sont des enfants-soldats. La rébellion a fini par devenir synonyme d’espoir et d’ascension pour eux. Mais ils n’ont pas été sur les bancs de l’école, et aujourd’hui, quand ils veulent passer un échelon supérieur, on leur répond qu’ils n’ont pas le niveau scolaire. Mais comment peut-il en être autrement puisque leur recrutement les a empêchés d’aller à l’école ? Cette frustration grandit chez eux.

Des jalousies sont nées aussi après la chute de Laurent Gabgbo quand ils ont vu s’infiltrer dans la nouvelle armée ivoirienne des gens qui n’avaient jamais combattu, mais dont les bonnes relations leur ont permis d’obtenir un matricule.

Les ex-chefs de guerre de la rébellion peuvent-ils encore les faire rentrer dans le rang ?

Trois d’entre eux, Wattao, Chérif Ousmane, Koné Zacharia, sont venus tenter de négocier avec eux dimanche 14 mai, mais ils ont reçu une fin de non-recevoir. Ils sont discrédités aux yeux des mutins. Ces chefs de guerre se sont enrichis ici, et après, ils ont tout emmené à Abidjan en les oubliant. Pour les ex-rebelles, ils ont abandonné la ville de Bouaké, contrairement à leurs engagements. La population et les élus réclament depuis 2011 un plan Marshall pour développer la ville, mais sans succès. Korhogo, au nord, est même désormais plus dynamique !

La confiance est-elle aussi rompue avec les autorités ?

Il est assez révélateur de voir que le parti présidentiel d’Alassane Ouattara, le Rassemblement des républicains (RDR), ait appelé ses jeunes à manifester contre les mutins, à Korhogo comme à Bouaké. Les mutins ont réagi violemment [un mort et plusieurs blessés par balles à Bouaké]. La légitimité du chef de l’Etat est en partie remise en cause après que celui-ci a poussé pour que les mutins renoncent à leur complément de prime.

Les autorités sont aussi accusées d’acheter les représentants des mutins qui viennent négocier à Abidjan. Les mutins n’ont plus confiance en personne, car ils ont le sentiment d’avoir déjà été trop souvent trahis.

Comprendre les mutineries en Côte d’Ivoire
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