Après en avoir rêvé pendant cinq ans, la droite a enfin un premier ministre issu de ses rangs. Sauf que cette nomination n’a fait sourire personne au siège du parti Les Républicains (LR), rue de Vaugirard à Paris. En choisissant pour Matignon Edouard Philippe, un des héritiers d’Alain Juppé, Emmanuel Macron place la droite face à ce qu’elle redoute depuis longtemps : une fracturation entre son aile modérée et son aile dure.

Les réactions à la nomination du maire du Havre ont illustré l’écartèlement du parti LR jusqu’à la caricature. Les figures de la droite juppéiste et modérée se sont félicitées de ce choix en se disant prêtes à jouer le jeu de la recomposition. « Je ne crois pas [qu’il veuille casser la droite]. Sa mission c’est de faire réussir le pays », a ainsi expliqué, mardi 16 mai, Nathalie Kosciusko-Morizet, sur France inter, à propos du nouveau président de la République : « S’il y a de bonnes réformes alors nous devons être constructifs. »

A l’autre bout du spectre, les responsables du parti ont adopté une attitude totalement inverse. « Aujourd’hui, ce que propose Emmanuel Macron, ce n’est pas une recomposition politique, c’est du dynamitage », a estimé sur RMC François Baroin qui dirige la campagne des législatives. « Tout cela ne nous paraît pas sain pour la démocratie », a affirmé de son côté Bernard Accoyer, secrétaire général de LR, sur France 2 : « Il faut parler du projet et non pas des personnes, des ralliements ou des campagnes de recrutement, de reclassement. »

Deux groupes à l’Assemblée nationale

Difficile de savoir jusqu’où mènera cet éloignement des deux droites. Le processus à l’œuvre pourrait s’accélérer dans les heures à venir. Car, dans le sillage de M. Philippe, d’autres ténors pourraient rejoindre ce premier gouvernement du mandat de M. Macron. Même si l’exode ne sera pas massif, certains candidats aux législatives pourraient être tentés de changer d’étiquette. Des figures comme NKM ou Gilles Boyer, ancien directeur de campagne d’Alain Juppé, ont déjà annoncé qu’ils garderaient l’étiquette LR pour s’assurer les meilleures chances d’être élus.

La véritable recomposition pourrait avoir lieu après les législatives, avec un divorce entre ceux qui veulent travailler avec le nouvel exécutif et ceux qui seront dans l’opposition systématique. Cette distanciation pourrait aller jusqu’à la création de deux groupes à l’Assemblée nationale. Lundi, en fin d’après-midi, environ vingt-cinq élus de la droite et du centre ont publié une tribune où ils appellent LR à prendre « la mesure de la transformation politique » et à « répondre à la main tendue par le président de la République ». Parmi les signataires, l’ancien sarkozyste et maire de Tourcoing (Nord), Gérald Darmanin, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, le maire de Nice, Christian Estrosi, le maire de Reims Arnaud Robinet ou encore Jean-Louis Borloo.

« M. Macron confie à un homme de droite le poste de premier ministre, une fonction qui fixe les orientations politiques, selon la Constitution. C’est un geste important. Ça mérite au moins que l’on débatte entre nous », confie le lemairiste Sébastien Lecornu, président du conseil départemental de l’Eure. « Voir un président social-démocrate nommer un premier ministre de droite, c’est une rupture très forte avec les habitudes de la VRépublique, analyse M. Apparu, député de la Marne et porte-parole de M. Juppé pendant la primaire. Cette nomination ne signifie pas qu’il y ait une fusion idéologique entre la droite et Macron, mais les programmes de M. Juppé et du nouveau président de la République sont globalement assez proches sur la baisse des charges, sur la simplification, sur l’Europe. »

Ce débat tombe encore une fois au très mauvais moment pour la droite qui tente de se reconstruire après la défaite au premier tour de la présidentielle. Depuis une semaine, François Baroin tente de mobiliser ses troupes. Histoire de faire tenir sa famille debout, il a répété à plusieurs reprises qu’une éventuelle recomposition politique devrait se faire après les élections législatives.

Bruno Le Maire a juré qu’il ne rejoindrait pas le gouvernement

L’idée du sénateur de l’Aube était de faire campagne contre M. Macron avec un programme appuyé sur une promesse de baisses d’impôt puis de se compter à l’Assemblée nationale pour voir si la droite avait les moyens de s’opposer systématiquement au nouveau président ou si elle devait se montrer constructive en votant certains textes. Les appels du pied du chef de l’Etat ont ruiné cette stratégie.

Dès lundi, les responsables de LR ont adopté une communication de crise pour faire tenir la maison debout. L’objectif a d’abord été de minimiser le choix de M. Philippe, lui aussi porte-parole d’Alain Juppé pendant la primaire. « C’est un choix individuel. C’est sa décision, il n’en a parlé à personne. Il est vrai que cela ne contribue pas à notre action collective », euphémise Christian Jacob, président du groupe LR à l’Assemblée nationale. Les responsables du parti ont décidé lors d’un comité politique de ne pas lancer de procédure d’exclusion à l’égard de M. Philippe pour ne pas donner l’image d’un camp fracturé et procédurier au moment où M. Macron s’affiche en président au-dessus des partis.

Depuis la fin de semaine dernière, François Baroin et Bernard Accoyer ont passé des coups de fil à toutes les personnalités susceptibles de rejoindre M. Macron pour les en dissuader. Bruno Le Maire a juré qu’il ne rejoindrait pas le gouvernement, mais les responsables du parti sont persuadés du contraire. Ils le soupçonnent même de débaucher d’autres élus.

En choisissant un héritier d’Alain Juppé, le nouveau président de la République joue parfaitement sur les divergences idéologiques qui minent la droite. Car les personnalités qui suivront M. Philippe se sont toutes opposées à la dérive droitière de Nicolas Sarkozy à la fin de son quinquennat ou lors de sa campagne de la primaire. Elles sont aussi très mal à l’aise avec les thématiques identitaires agitées par les plus droitiers, comme le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Toutes avaient quitté la campagne de M. Fillon au moment de l’annonce de la convocation de l’ancien premier ministre par la justice.