Passation de pouvoir à Matignon. Edouard Philippe remplace Bernard Cazeneuve au poste de Premier ministre, à Paris, lundi 15 mai 2017 - 2017©Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde | JEAN CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

C’est un premier ministre nouvellement nommé, dont les prochaines déclarations de patrimoine et d’intérêts, attendues dans deux mois au plus tard par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – soit d’ici au 15 juillet – seront particulièment scrutées.

De fait, Edouard Philippe, choisi par Emmanuel Macron pour incarner le renouveau politique à Matignon, s’est jusqu’à présent plié avec une mauvaise grâce assumée aux nouvelles règles de transparence s’imposant à 15 000 responsables publics, depuis l’adoption des lois du 11 octobre 2013 sous le gouvernement Valls.

Comme l’a révélé Mediapart le 12 mai, le député de Seine-Maritime, maire du Havre (Les Républicains) et ancien porte-parole d’Alain Juppé, fait partie des quelques parlementaires – 23 sur un total de 1 048 déclarants, députés et sénateurs sortants et entrants – mis à l’index par l’autorité indépendante chargée de contrôler et de promouvoir la probité des responsables publics, à l’occasion de leurs toutes premières déclarations de patrimoine légales de 2014.

« Aucune idée » de la valeur de ses biens

Soumis alors à l’obligation de déclarer l’ensemble de ses biens immobiliers et de ses avoirs (comptes bancaires, actions, etc.), deux ans après sa prise de fonctions à l’Assemblée nationale, comme l’ensemble de ses pairs, l’élu avait dans un premier temps rendu à la HATVP une déclaration incomplète. Il avait ainsi pris soin d’indiquer, à la main, sur le formulaire officiel de la HATVP, n’avoir « aucune idée » de la valeur de son appartement parisien, « aucune idée » non plus de celle de ses parts dans une résidence de Seine-Maritime et encore « aucune idée » de ce que pouvait bien valoir son dernier bien situé en Indre-et-Loire, précise Mediapart.

Une façon, visiblement, de redire sa réticence envers cette loi de transparence, adoptée dans la foulée de l’affaire Cahuzac, contre laquelle il avait voté lors de la séance publique du 17 septembre 2013, comme la plupart des députés UMP de l’époque.

Edouard Philippe avait même maintenu sa position dans un second temps, refusant de se plier à la loi et de répondre aux précisions demandées par la HATVP, et écopant alors d’une « appréciation », dans le jargon de la Haute Autorité, autrement dit d’une observation, prévue par la loi, et s’apparentant en fait à un blâme. M. Philippe aurait toutefois fait figurer sur sa déclaration – une déclaration consultable à la préfecture de Seine-Maritime, mais dont il est interdit de faire état, pour ceux qui l’ont personnellement consultée – les prix d’achat des biens, « parfois en francs ».

Un « blâme » pour pousser à plus de transparence

Certes, constatant ces manquements, l’autorité de contrôle présidée par l’ancien haut magistrat Jean-Louis Nadal n’avait pas jugé bon d’activer l’article 40 du code de procédure pénale, en transmettant le dossier à la justice, comme elle l’avait fait alors, en 2015, pour d’autres parlementaires en situation d’infraction manifeste à la loi.

Du fait de l’existence, les concernant, d’un « doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations de situation patrimoniale, du fait de la sous-évaluation manifeste de certains actifs et de l’omission de certains biens immobiliers », les cas de Josette Pons, Thierry Robert, Patrick Balkany, Bernard Brochand, Lucien Degauchy, Dominique Tian, Bruno Sido et Serge Dassault avaient ainsi été signalés au procureur financier de la République.

Mais la décision de « blâmer » M. Philippe, en raison du caractère « inexact » de ses déclarations, n’avait rien d’anodin, de telles observations, publiques, étant censées pousser les responsables politiques à plus de transparence pour le futur. De la même façon, le député avait refusé de dévoiler la plupart de ses revenus à la date de son élection comme député, et pour les cinq années précédentes, dans sa « déclaration d’intérêts et d’activités » également exigée par la loi des responsables publics, afin de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.

« Je ne suis pas certain de comprendre la question. Vous voulez connaître mon taux horaire au jour de l’élection ? Ma rémunération mensuelle moyenne ? Annuelle ? »

Il n’avait ainsi renseigné aucun montant en face de la mention « directeur des affaires publiques d’Areva (2007-2010) ». Surtout, il avait à nouveau laissé poindre son agacement, interpellant ainsi la HATVP au sujet de ses activités d’avocat exercées de 2011 à 2012 : « Je ne suis pas certain de comprendre la question, écrit-il dans cette déclaration pour sa part consultable librement sur Internet. Vous voulez connaître mon taux horaire au jour de l’élection ? Ma rémunération mensuelle moyenne ? Annuelle ? »

L’avertissement de la HATVP a-t-il fonctionné ? Selon l’entourage du nouveau locataire de Matignon, Edouard Philippe a corrigé le tir dans sa déclaration de fin de mandat de député, récemment transmise à l’instance – la loi imposant aux parlementaires de transmettre deux déclarations de patrimoine, l’une en début de mandat, l’autre en fin, afin de vérifier qu’ils ne sont pas illégalement enrichis durant la période. Cette seconde déclaration est en cours de vérification à la Haute Autorité, avec l’ensemble des déclarations des députés sortants. Toutes ces déclarations devraient être publiées, d’un tenant, d’ici la fin de l’année.

Qu’est-ce que la HATVP et à quoi sert-elle ?

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est l’autorité administrative chargée de contrôler les déclarations de patrimoine et d’intérêts des responsables publics français (ministres, parlementaires, conseillers régionaux ou municipaux). La HATVP a été instaurée par la loi du 11 octobre 2013, votée dans la foulée du scandale provoqué par les mensonges de Jérôme Cahuzac, ancien ministre délégué au budget, sur son compte en banque dissimulé en Suisse.

La HATVP remplace la Commission pour la transparence financière de la vie politique, elle-même créée en 1988 à la suite d’un scandale ayant fait naître des soupçons sur le financement du Parti socialiste (l’affaire Luchaire). La loi du 11 mars 1988 prévoyait déjà un contrôle de la situation patrimoniale des membres du gouvernement en leur imposant de renseigner leur patrimoine au début et à la fin de leur mandat, afin de détecter les éventuels enrichissements anormaux. Mais ladite commission disposait de moyens d’action limités.

Des pouvoirs élargis

La HATVP possède des pouvoirs élargis par rapport à la commission qu’elle remplace. Elle peut ainsi bénéficier de l’aide des services fiscaux pour contrôler la véracité des déclarations de situation patrimoniale soumises par les élus. La HATVP a également pour mission de prévenir les conflits d’intérêts des membres du gouvernement en contrôlant et vérifiant les déclarations d’intérêts remplies par chacun d’entre eux dès le début de leur mandat.

En cas de conflit d’intérêt avéré, la HATVP possède un pouvoir d’injonction qui lui permet d’imposer à un élu de faire cesser ledit conflit. La loi du 11 octobre 2013 a d’ailleurs donné pour la première fois une définition juridique du conflit d’intérêt, jusque-là absent du cadre légal.

Ces obligations déclaratives ne s’appliquent désormais plus aux seuls ministres et élus : la loi relative à la déontologie des fonctionnaires datée du 20 avril 2016 a élargi cette liste à tous les fonctionnaires « dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » (le décret d’application donnant la liste précise est attendu pour octobre 2016).