Documentaire sur Arte à 20 h 50

Etudiants, l'avenir à crédit - Fipa 2017

Le monde de la connaissance n’échappe pas à la marchandisation : des Etats-Unis à la Chine en passant par l’Europe, le modèle de l’entreprise s’impose progressivement à l’université. Avec, pour mot d’ordre, la compétition sur un marché en pleine expansion : le nombre d’étudiants sur la planète devrait passer de 200 millions en 2015 à 400 millions en 2030.

Dans un documentaire prenant et bien mené, Jean-Robert Viallet dresse ce tableau inquiétant par petites touches, au gré de ses rencontres sur les campus avec des présidents d’université et des étudiants. Ces derniers sont les premières victimes, avec des droits d’inscription qui n’ont cessé d’augmenter et un endettement qui atteint des niveaux astronomiques. Particulièrement aux Etats-Unis, où cette libéralisation a débuté il y a déjà quarante ans. Le cas extrême d’une jeune fille de la région de Detroit (Michigan) peut donner des sueurs froides : 104 000 dollars (95 325 euros) à rembourser pèsent sur ses épaules, à la sortie d’une université privée à but lucratif qui lui avait promis monts et merveilles sur le marché du travail. « Avant d’aller à la fac, j’étais pauvre. Maintenant, je suis extrêmement pauvre », résume-t-elle, amère.

Etudiants de l''université Humboldt de Berlin | Arte

Pour le documentariste, l’Europe ne résiste pas à ce mouvement de commercialisation du savoir. Avec pour point de départ le processus de Bologne, lancé à la fin des années 1990, qui a placé « l’économie de la connaissance » au cœur du projet libéral de l’Union européenne. C’est en Grande-Bretagne qu’il s’illustre le plus crûment. Alors que le nombre d’étudiants augmente et que les établissements britanniques souffrent d’un manque de moyens – ce qui n’est pas sans rappeler la situation actuelle de la France – Tony Blair, sitôt premier ministre, enclenche, en 1997, le mouvement de libération des droits d’inscription, à 1 000 livres (environ 1 100  euros). Par la suite, ils ne cesseront d’être relevés, pour atteindre 9 000 livres en 2010, malgré de fortes mobilisations étudiantes. « En quinze années, la classe politique anglaise a imposé un système payant à la nouvelle génération », est-il résumé dans le commentaire.

Pourtant, même du point de vue de la rationalité économique, il bat de l’aile : avec 45 % de prêts étudiants non recouverts actuellement, l’université à 9 000 livres va bientôt atteindre le point de bascule où elle coûtera plus cher à l’Etat qu’à l’époque où les frais d’inscription n’étaient « que » de 3 000 livres…

Une autre vision de l’éducation

En contrepoint, le documentaire fait ressortir un second modèle qui persiste en Europe : celui de la gratuité. Avec les pays scandinaves en tête, dont la Suède qui verse même une bourse de 300 euros par mois à ses étudiants. S’illustre ici une tout autre vision de l’éducation considérée comme un acquis social auquel chacun doit pouvoir prétendre. « Le plus important, pour nos étudiants, c’est qu’ils puissent grandir en tant qu’être humain, défend ainsi la vice-présidente de l’université de Lund. Et par conséquent, ils seront capables d’améliorer l’avenir du pays. » En Allemagne aussi, la gratuité est redevenue la norme, malgré la possibilité ouverte en 2006 d’augmenter les droits à 1 000 euros. Quant à la France, le documentariste y passe un peu rapidement, en s’arrêtant sur les droits d’inscription de Sciences Po et Dauphine pour illustrer les coups de boutoir vers un modèle payant, oubliant tout de même de rappeler que l’université reste, elle, quasiment gratuite.

Mais le message de Jean-Robert Viallet est clair : s’il demeure des bastions de résistance, le système s’effrite de toutes parts. Avec une question laissée en suspens : « Est-il encore possible pour les nations européennes de protéger l’enseignement supérieur des dérives d’une marchandisation ? »

Etudiants, l’avenir à crédit,de Jean-Robert Viallet (Fr., 2016, 84 min).