Gobelins - Manon Villemonteil

Moi, moche et méchant, Les Minions, Un monstre à Paris, Ratatouille, Wall-E, Adama, Kung Fu Panda… Se promener dans les couloirs de la prestigieuse Ecole des Gobelins, dans le 13arrondissement de Paris, c’est remonter à la source de grands succès mondiaux du cinéma d’animation. Sur les murs, les planches de dessins offertes par des anciens élèves à l’occasion des 40 ans de la section animation de l’école en 2016, comme le trombinoscope qui trône en bonne place, rappellent le nom des alumnis, animateurs, designers ou réalisateurs, ayant brillamment participé à l’exportation de la French touch : Pierre Coffin, Louis Clichy, Eric Bergeron, Simon Rouby…

Bienvenue dans la « meilleure école d’animation au monde », comme l’a désignée pour la seconde fois en 2017 le site spécialisé dans le cinéma d’animation Animation Career Review. Certes, le classement ne prend pas en compte les formations américaines, mais l’école n’en a de toute façon pas eu besoin pour placer ses étudiants dans les meilleurs studios. Ou pour, comme en 2009, voir nommé aux Oscars un court-métrage étudiant.

Oktapodi - Animation Short Film - GOBELINS
Durée : 02:24

La relève sera assurée, comme on s’en rend compte en poussant la porte d’une salle. « Pour respecter les délais, je dois maintenir le cap d’une vingtaine de dessins par jour, soit… une seconde et demie d’animation » : un casque sur les oreilles, penché sur sa tablette graphique, Léni Marotte (23 ans) n’a pas de temps à perdre. Le film de fin d’études qu’il prépare depuis le début d’année, avec trois camarades de promotion, doit être bouclé le 22 mai. Sur son écran défilent les images d’un personnage évoluant dans une forêt canadienne au réalisme impressionnant, lieu de l’intrigue de ce court-métrage d’animation de 6 minutes.

Sa formation de quatre ans (deux ans pour ceux qui entrent directement en 3e année) prendra officiellement fin en juin avec le Festival international du film d’animation d’Annecy. L’occasion, chaque année, d’espérer voir primé un court-métrage de l’école. Mais surtout celle de rencontrer un studio d’animation lors du « speed-recruting » organisé sur place par l’école. Comme sa trentaine de camarades de promotion, Léni est plutôt serein quant à son avenir : « En attendant un jour, j’espère, de vivre de mes réalisations, je serai animateur [de personnage]. Si la technique utilisée me plaît, je dirai oui. » Pour produire longs ou courts métrages, clips ou encore publicités, il sait que les studios s’arrachent les diplômés des Gobelins.

Cercle vertueux

Le beau réseau professionnel constitué par les anciens (en animation, mais aussi en photographie, design interactif ou encore jeu vidéo), à même d’accélérer l’insertion des étudiants, est le résultat d’un cercle vertueux lancé au début des années 1970. Lorsque Uderzo et Goscinny décident d’adapter leur bande dessinée Astérix et Obélix en dessin animé, ils ne trouvent pas les compétences qu’ils recherchent dans les écoles françaises. La chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP), dont dépend encore l’école aujourd’hui, accepte de créer un département animation aux Gobelins en 1974. Pendant longtemps, celui-ci va enseigner les meilleures techniques traditionnelles du dessin animé, en deux dimensions (2D) donc. Malgré l’avènement de la 3D (les films d’animation en image de synthèse), « nous n’avons pas renoncé à la 2D, explique Moïra Marguin, la responsable pédagogique de la section, c’est ce qui fait notre spécificité. » Là où d’autres écoles d’animation ont depuis fait de la 3D le b.a.-ba de leur formation.

En première année, les élèves peaufinent donc leur maîtrise du dessin d’animation : croquis d’après modèle vivant, morphologie, analyse du mouvement, design de personnage, etc., avant de se plonger dans la maîtrise des logiciels d’animation 2D ou 3D. Le fait de devoir recommencer entièrement une série de 25 dessins à la main, parce qu’on a oublié quelque chose, oblige à apprendre à anticiper la fin de l’action », donne comme exemple de compétences ainsi acquises Moïra Marguin. C’est cette double culture 2D/3D qu’apprécieraient les studios d’animation, couplée à une excellente maîtrise du crayon.

Une étudiante de 1ere année du cursus « films d’animation » des Gobelins - 2012 | Alexis Leclercq

Le dessin, c’est ce qui a permis à Lucas Durkheim (25 ans), l’un des coéquipiers de Léni sur le film de fin d’études, d’entrer aux Gobelins. Sur son ordinateur, il est en train d’ajuster les décors et l’ambiance du court-métrage. Plus que l’animation pure, il aime « écrire, mettre en scène, accorder les différents corps de métier ». Comme la majorité des étudiants, Lucas a suivi une formation artistique avant d’entrer aux Gobelins : trois ans d’école d’art à Lyon (Emile-Cohl). Le temps de s’améliorer en dessin et de retenter, à trois reprises, le très sélectif concours pour entrer aux Gobelins, une autre explication de l’excellence de l’école. Avec 600 inscrits pour 30 places, « vu la difficulté du concours, tout le monde est à fond. Il y a une énorme émulation. Chaque promotion qui sort inspire les suivantes, les challenge », commente-t-il.

Les épreuves de dessin du concours permettent de sélectionner les meilleurs. « Mais ce n’est pas tout de savoir bien dessiner, commente Moïra Marguin. On leur demande aussi de savoir produire en quantité. D’être capable de raconter une histoire et de l’interpréter. » Bref, « d’être créatif tout en servant un projet », ce qu’on leur demandera dans leurs futurs studios. Ce qu’on demanderait aussi à un acteur ou à un comédien. Durant la formation, des séances d’acting (de jeu) animées par des comédiens, où les étudiants se mettent à la place de leur personnage virtuel, sont d’ailleurs régulièrement organisées. On les aperçoit parfois mimer des gestes improbables devant l’immense miroir placé au fond du couloir.

Gobelins 2016 "AU MOULIN ROUGE"
Durée : 01:50

De l’autre côté de celui-ci, dans une salle tout aussi silencieuse, on retrouve David Feliu (25 ans) en train de travailler sur un projet d’études sur le thème de « l’amour ». Etudiant espagnol, il est inscrit au programme en anglais des Gobelins, accessible en deuxième cycle. Ici, il apprécie les cours « entièrement donnés par des professionnels, ce qui nous permet d’être toujours au fait des évolutions du secteur ».

Il loue aussi l’apport « culturel et stylistique » important que constituent les travaux avec des camarades d’autres nationalités. Des équipes internationales dans lesquelles il sera peut-être amené à travailler bientôt. Aux Gobelins, 36 % des élèves ont au moins une expérience de travail à l’étranger dans les 5 ans qui suivent leur diplôme. Avant de revenir en France, parfois. Car « l’animation française, troisième productrice mondiale est en plein boom, rappelle Nathalie Berriat, la directrice de l’école. Le secteur emploie déjà 5 000 personnes, et prévoit 2 500 recrutements d’ici trois ans »

WILDFIRE | Animation Short Film 2015 - GOBELINS
Durée : 04:05