Nicolas Hulot pendant la COP21, à Paris, en novembre et décembre 2015. | DOMINIQUE FAGET / AFP

Jusqu’à présent, il avait décliné toutes les offres présidentielles. Celle de Jacques Chirac, l’année de sa réélection, en 2002. Celle de Nicolas Sarkozy, qui lui propose en 2007 un ministère englobant l’écologie, le développement et l’aménagement durables, finalement attribué à Jean-Louis Borloo. Celle de François Hollande, qui cherche à le convaincre, au début de 2016, d’accepter un poste de numéro deux dans le gouvernement en cours de remaniement. Cette fois, Nicolas Hulot a franchi le pas. Nommé mercredi 17 mai à la tête d’un grand ministère de la transition écologique et solidaire, l’ancien animateur d’« Ushuaia, le magazine de l’extrême », relève son défi le plus audacieux : orienter l’action gouvernementale dans la voie de la transition écologique et énergétique.

L’accord de principe a été scellé vendredi 12 mai, lors d’un tête-à-tête entre le militant écologiste et le nouveau président de la République, au QG de ce dernier. « C’est une décision mûrie, assure Jean-Paul Besset, un proche de Nicolas Hulot. Il pense qu’il y a une véritable opportunité de réaliser un certain nombre de choses. Il connaît Macron depuis plusieurs mois et il a trouvé une oreille très attentive. »

De « variable d’ajustement » à vertu cardinale

Emmanuel Macron peut pour sa part se targuer d’avoir réussi un « coup de génie », selon Daniel Cohn-Bendit : « Hulot est typiquement le mec qui n’est ni à droite ni à gauche mais à droite et à gauche. » Avec ce ralliement, le nouveau président dérobe à la gauche l’une de ses thématiques fortes, qui avait été placée au cœur des projets de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon.

Il s’adjoint non seulement un emblème de la lutte en faveur de l’environnement et du climat et l’une des personnalités préférées des Français, mais il balaie aussi les critiques – exprimées jusque parmi certains de ses soutiens – sur son peu de sensibilité aux questions environnementales. Le philosophe Olivier Abel soulignait, dans Le Monde du 16 mai, l’attachement du nouveau président à la volonté « d’introduire une tension soutenable entre deux énoncés apparemment incompatibles » : avec l’arrivée de M. Hulot à l’hôtel de Roquelaure, ce principe vient d’être poussé à sa limite.

Sceptique quant à l’utilité de la croissance économique en tant que telle, chantre de la fiscalité écologique et grand contempteur des formes actuelles du capitalisme, adversaire farouche des traités commerciaux transatlantiques, du modèle agricole dominant ou encore du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le nouveau ministre de l’écologie apparaît en effet peu compatible avec une politique du laisser-faire seulement destinée à accompagner les forces du marché.

« J’ai lu la feuille qu’a envoyée Emmanuel Macron à tous les potentiels électeurs avant le vote de dimanche [7 mai] : il y a une ligne sur la transition écologique, se désespérait l’ex-journaliste dans un entretien au Monde au lendemain du débat présidentiel de l’entre-deux-tours. On voit que ce n’est pas une priorité dans son programme, que cela reste une variable. » Par quel tour de passe-passe cette « variable » d’ajustement a été érigée, depuis, en vertu cardinale de la politique conduite par l’Elysée ?

L’enrôlement de Nicolas Hulot n’a sans doute été possible qu’en lui ménageant d’importantes marges de manœuvre dans la mise en place de politiques environnementales — sous peine d’une démission tonitruante dans les prochaines semaines. Ses proches rappellent que l’expérience acquise entre décembre 2012 et janvier 2016 comme envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète, dans le cadre des négociations de la COP21, a développé chez lui une véritable « capacité à gagner des arbitrages ».

A l’initiative d’un « Grenelle de l’alimentation »

Le nouveau ministre pourrait être rapidement mis à l’épreuve dans l’un des dossiers laissés en jachère par François Hollande, le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Ce dossier, ouvert dans les années 1960, divise profondément la classe politique. Nicolas Hulot en a fait une ligne rouge, comme tous les défenseurs de l’environnement, et en a toujours demandé l’abandon… jusqu’à reconnaître le résultat du scrutin local de juin 2016 en faveur du transfert de l’actuel aéroport de Nantes vers le nord de la métropole. « Je prends acte de ce vote démocratique, je m’incline », déclarait-il sur Europe 1, le 19 avril, tout en regrettant « un référendum fait en dépit du bon sens ».

Le ralliement de Nicolas Hulot a été facilité, en outre, par la présence dans l’équipe d’Emmanuel Macron de certains proches de l’ancien animateur. Matthieu Orphelin, ancien porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme, créée par M. Hulot en 1990, est candidat aux législatives à Angers sous l’étiquette La République en marche. Dans le groupe de travail consacré à l’écologie qu’il a rejoint au début de 2017, cet intime de « Nicolas » a contribué à « verdir » le programme d’Emmanuel Macron en sensibilisant le candidat aux questions de diversification énergétique, de rénovation thermique ou encore de transformation du modèle alimentaire et agricole.

Instigateur du Grenelle de l’environnement en 2007, sous la présidence Sarkozy, Nicolas Hulot a soufflé à Emmanuel Macron l’idée d’organiser un « Grenelle de l’alimentation », qui mettrait pendant un an, autour de la table, tous les acteurs de la filière afin d’assurer l’émergence d’un modèle garant de la souveraineté alimentaire et débarrassé de tout pesticide. L’impétrant est un partisan d’une révision profonde du système fiscal pour structurer les modes de production et de consommation, avec la mise en place d’une véritable fiscalité écologique ainsi que d’une planification de la transition énergétique sur trente ans. Sur le nucléaire, qu’il a longtemps défendu comme source d’énergie peu émettrice de gaz à effet de serre, le militant avait changé de position après l’accident intervenu à Fuskushima, au Japon, en mars 2011. Il s’était alors interrogé sur la nécessité de sortir de l’atome.

Pour celui que ses proches gratifient du surnom de « Commandant couche-tôt » et qui poursuit, à 62 ans, la pratique du kitesurf, l’aventure gouvernementale signe l’aboutissement d’un engagement militant mené depuis plus d’une décennie aux marges du monde politique. Inspirateur du célèbre « notre maison brûle et nous regardons ailleurs », prononcé en 2002 par Jacques Chirac au sommet de la Terre de Johannesburg ; auteur du pacte écologique signé en 2007 par les principaux candidats à la présidentielle ; éminence grise de François Hollande durant l’échéance climatique décisive de la COP21 en décembre 2015, l’ancien animateur n’a cessé de chuchoter à l’oreille des puissants.

La tentation d’une candidature sous son nom

Il a longtemps hésité en revanche à mener de front le combat politique. En 2011, il se lance dans la primaire écologiste, mais sa campagne est un désastre. « Il pensait qu’il était prêt, racontait au Monde, en décembre 2014, l’eurodéputé Pascal Durand, l’un des proches du nouveau ministre. Mais il s’était seulement mis d’accord avec lui-même. Il n’aime pas le conflit. Pendant la primaire, il n’a pas voulu taper sur ses adversaires, alors qu’en face, ils ne s’en privaient pas. » Il en sort défait et meurtri. Eva Joly rassemble près de 60 % des suffrages.

En 2016, pendant quelques mois, il étudie cette fois la possibilité de se porter personnellement candidat à la présidentielle et organise autour de lui une « task force », dévouée à mobiliser la société civile sur son nom. Mais face à l’âpreté de la bataille présidentielle à venir, aux rumeurs qui menacent sa vie privée, aux tensions qui minent son entourage, il renonce brutalement, le 5 juillet, à « endosser l’habit de l’homme providentiel et présidentiel ». « L’honnêteté m’oblige à ne pas nourrir plus longtemps une attente que je ne pourrai satisfaire », explique-t-il alors dans un communiqué.

Les mois passent et les regrets aussi pour cet « optimiste désespéré » qui avoue refaire « chaque nuit, le procès de la veille ». Après le renoncement du président en exercice, François Hollande, le 1er décembre, il confie, dans sa retraite de Bretagne, que la décision de ne pas concourir à l’élection présidentielle « est la plus lourde » de son existence. Son épouse, si réticente quelques mois plus tôt, l’incite à revoir sa décision. Mais le temps est trop court et Emmanuel Macron déjà trop installé dans le paysage.