Ils sont des dizaines à faire la queue devant la boulangerie à l’angle de la rue Tolbiac et de la rue Baudricourt dans le 13e arrondissement de la capitale. Presque tous sont là pour la spécialité de la maison. « C’est celle-ci la baguette du président ? », demande une dame aux cheveux argentés en montrant du doigt les ficelles qui lui font face. Dans un sourire rodé à la question, le vendeur lui confirme : « c’est bien elle. »

« D’habitude, on a du monde surtout le week-end. En ce moment, c’est dimanche tous les jours, lâche Sami Bouattour, les traits tirés par la fatigue. Ils veulent tous la baguette de Macron. » Ce boulanger de 50 ans, à la tête d’une « petite PME de neuf personnes », a remporté jeudi 4 mai le 23e Grand prix de la baguette de Paris, organisé par la mairie. Outre les 4 000 euros de dotation, ce sésame lui ouvre les portes très fermées de l’Elysée.

Quels sont les secrets d’une baguette parfaite ?
Durée : 04:47

Sami Bouattour n'est boulanger que depuis six ans. | Bafoil

Pendant un an, Sami Bouattour va fournir le pain au nouveau président de la République, Emmanuel Macron. « Environ une dizaine de baguettes par jour je crois », anticipe-t-il, pas encore très au fait. La machine élyséenne représente plusieurs centaines de personnes et au moins autant de fournisseurs. Sami Bouattour ne s’occupera, lui, que d’approvisionner le président et son entourage.

Une sélection affinée

Papilles gustatives présidentielles obligent, le boulanger de l’Elysée est désigné parmi les meilleurs de la profession. Pour gagner cet honneur, il faut remporter ce concours, reconnu comme l’un des plus prestigieux de France. Afin d’être sélectionnées, les baguettes doivent mesurer entre 55 et 70 centimètres, peser entre 250 et 300 grammes et avoir une teneur en sel de 18 grammes par kilo de farine. Elles sont ensuite jugées sur leur cuisson, leur goût, leur mie, leur odeur et leur aspect.

La baguette de Sami Bouattour a été choisie au milieu de 220 autres, anonymisées et goûtées par un jury de professionnels. Elle devait sortir du lot puisqu’elle a été remarquée dès le début de la compétition par plusieurs membres du jury. Une personne présente a même confié que certains jurés avaient poussé le vice jusqu’à prendre un selfie avec elle.

Un tour de force pour Sami Bouattour, artisan issu de la restauration, boulanger depuis seulement six ans, qui ne semble pas plus impressionné que ça par ce nouvel habitué. « Le président est un client comme un autre, c’est surtout pour les gens que c’est important. » Toutefois, un aspect plaît tout particulièrement à Sami Bouattour. « Les gens se disent qu’ils ont le privilège de manger le même pain que le président. Tout le monde est sur le même pied d’égalité. Ça, c’est un peu jouissif. »

« Il va y avoir beaucoup de contrôle à l’Elysée »

Pour l’instant, il ne réalise pas. Emmanuel Macron n’a pas encore dégusté ses baguettes traditions. Sans compter que le boulanger a « des milliers de trucs à faire », sûrement bientôt « une personne à embaucher pour faire face ». Et aussi, bien sûr, l’Elysée « qu’il ne faut pas tarder à appeler ».

Ce qui l’inquiète, surtout, c’est le risque de perdre du temps avec des obligations protocolaires. « Je ne sais pas trop ce qu’il faut fournir, avoue Sami Bouattour. Mais je sais qu’il va y avoir beaucoup de contrôles. J’espère que ça ne prendra pas des heures… »

Pour livrer l’Elysée, il faut montrer patte blanche et les livreurs, dont les noms doivent être communiqués à l’avance, doivent passer quelques contrôles de sécurité pour avoir le droit d’accéder aux cuisines. Les précédents lauréats, Michael Reydelet et Florian Charles, expliquent que ce n’est pas si strict que cela. « Au bout d’un moment, les gardes de l’entrée nous connaissent, ils sont sympas », raconte Florian Charles qui livrait lui-même le pain. Mais, selon le vainqueur de l’année dernière, il y a « une enquête qui est effectuée » sur les boulangers, « mais personne ne [leur] dit ». D’après lui, un casier judiciaire vierge est obligatoire, ce que dément la mairie de Paris, où l’on assure qu’aucune enquête de moralité ou autre n’est menée sur le boulanger qui fournit le président de la République.

« Et si c’était Le Pen ? »

Mais ces petits désagréments administratifs sont peu de chose comparés aux retombées professionnelles et financières. « On m’a dit que c’était entre 30 et 40 % de chiffre d’affaires en plus », explique Sami Bouattour, un pourcentage confirmé par les précédents lauréats qui ont vu exploser leur notoriété et leur chiffre d’affaires. D’ailleurs, outre une affluence des grands jours devenue quotidienne depuis son premier prix, Sami Bouattour remarque que ses clients viennent de plus en plus loin pour goûter « la baguette de Macron ».

Selon le boulanger, cela fait aussi marcher la concurrence du quartier. « Quand il y a trop de monde, ils se répartissent sur les autres boulangeries, assure-t-il. Une bonne concurrence fait toujours marcher les commerces. » Un discours en phase avec celui de son prestigieux client. « Ah oui, j’aime bien son programme, assure Sami Bouattour. Heureusement qu’il est passé. »

En revanche, le boulanger ne se serait pas vu servir la candidate d’extrême-droite. Cette petite frayeur lui a traversé l’esprit, car les lauréats du Grand prix de la baguette de Paris sont désignés le 4 mai, soit quatre jours avant le second tour de l’élection présidentielle. « Beaucoup de gens me demandaient : comment tu vas faire si c’est Le Pen [qui est élue] ? », se souvient-il en riant. Il se serait désisté, tout simplement. Si aucun des 23 lauréats n’a jamais refusé de servir le président, il n’y a aucune obligation imposée. « J’aurais dit que c’était trop de boulot », prétexte-t-il. Avec Emmanuel Macron, ça reste « beaucoup de travail », mais il s’en réjouit. Avant d’ajouter, plus sérieux : « lui aussi, il va avoir du boulot. » Mais au moins, il aura du bon pain.