Véhicules calcinés devant la prison de Makala, à Kinshasa, après l’attaque qui a permis à plusieurs milliers de détenus de s’évader dans la nuit du 16 au 17 mai 2017. | Robert Carrubba/REUTERS

A Selembao, commune de Kinshasa, un minibus plein à craquer laisse entendre un chant joyeux : « La prison est toute trouée ! » Des jeunes debout sur le toit narguent les policiers postés à tous les coins de rue. Plus loin sur cette route grignotée par le sable et les déchets, des militaires placides tiennent un barrage fait d’une guérite reliée par une corde à une table renversée. Ils défendent l’entrée du plus grand pénitencier de Kinshasa, la prison dite de Makala, qui vient de se vider d’une partie de ses 8 000 détenus. Derrière eux, une étendue de véhicules calcinés. Impossible d’aller plus loin.

« Il y a déjà eu des évasions, mais on n’a jamais vu ça », raconte Vincent, un habitant de Selembao, « sans travail, comme tout le monde ». Toute la nuit du mardi 16 mai au mercredi 17 mai, sa famille est restée éveillée à l’écoute des tirs. D’autres habitants ont vu des camions, des cadavres, des habits de détenus éparpillés dans la rue. D’après le gouvernement, un groupe armé a attaqué la prison vers trois heures du matin, libérant une cinquantaine de personnes et tuant un policier. Cinq attaquants auraient été tués. La Fondation Bill Clinton pour la paix, active dans la prison, a quant à elle recensé 600 évadés et une cinquantaine de victimes.

« On a entendu comme des coups de massue à la porte, raconte un prisonnier, joint par téléphone. Lorsque nous sommes sortis, nous avons vu beaucoup de policiers morts, certains calcinés ou ligotés. » Cet homme condamné à sept ans de prison pour escroquerie dit être tombé nez à nez avec une trentaine d’hommes et de femmes, armés de fusils et de machettes. « Le Congo est à tout le monde, sortez », lui a dit une attaquante.

Surpopulation et autogestion

Ville dans la ville, cette prison surpeuplée, initialement construite pour accueillir 1 500 détenus est officiellement gérée par le ministère de la justice, mais fonctionne selon ses propres lois. Organisée en onze pavillons, du plus insalubre au « VIP », Makala est gérée par les prisonniers eux-mêmes suivant une hiérarchie qui autorise tous les trafics et toutes les violences. « Makala fonctionne comme le Congo : il faut de l’argent et des contacts pour s’en tirer », explique un ancien détenu, libéré en 2016.

Les chiffres de l’intérieur sont donc différents. Joint par téléphone, un responsable « informel » évoque au moins cinq pavillons ouverts et seulement 3 366 détenus présents à l’heure actuelle. Depuis l’attaque, 168 évadés ont été arrêtés et réincarcérés. Plus de la moitié des prisonniers seraient donc en liberté, sans qu’on connaisse leur identité précise.

Parmi eux figure en tout cas Zacharie Dabiengila, alias Ne Mwanda Nsemi. Ce député de la province du Congo-Central (à l’ouest de Kinshasa), chef de la secte Bundu-dia-Kongo, qui appelle restaurer l’ancien royaume Kongo, avait été condamné pour « outrage au chef de l’Etat » et « incitation à la haine ». Arrêté en mars, il appelait à l’insurrection contre Joseph Kabila, dont le dernier mandat s’est officiellement terminé le 19 décembre 2016. On ne sait pas encore ce qu’il en est pour d’autres détenus « célèbres » de Makala, tels les condamnés pour l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, ancien président et père de Joseph Kabila.

L’attaque de la prison n’a certainement pas eu lieu par hasard mercredi 17 mai, vingt ans jour pour jour après l’entrée des rebelles de Laurent-Désiré Kabila dans Kinshasa. Ce jour férié devait célébrer la Fête de libération. Les festivités prévues n’ont pas eu lieu. Le 17 mai laissera désormais un autre souvenir à Selembao. Etrange coïncidence de l’histoire : en 1997, les rebelles avaient profité de leur victoire pour ouvrir les portes de la prison Makala.