Le Tchèque Jan Kolar aux prises avec le gardien russe Ilia Sorokine et son défenseur Artyom Zub, le 30 avril, lors d’un match de préparation, à Ceske Budejovice (République tchèque). | DAVID W CERNY / REUTERS

Au classement du championnat du monde de hockey sur glace, l’équipe de France peut nourrir des regrets : neuvième sur seize, elle obtient son meilleur rang depuis l’édition 2014 disputée à Minsk. Un point lui aura manqué pour atteindre, comme en Biélorussie, les quarts de finale (disputés jeudi 18 mai), qui lui aurait permis de recevoir les Etats-Unis au Palais omnisports de Paris-Bercy.

Les Bleus éliminés, Paris n’en hérite pas moins de deux quarts et il serait sot de bouder son plaisir pour cette dernière journée parisienne de la compétition, demies et finale se jouant à Cologne. Ce n’est pas faire injure à la Suède et à la Suisse que d’affirmer que l’affiche opposant la Russie à la République tchèque (16 h 15) est potentiellement la plus explosive.

D’un côté, deux pays neutres, de l’autre, une rivalité entre deux membres permanents du top 6 qui a fait la légende de ce sport au temps de la guerre froide. En janvier, une des plus récentes confrontations sur la glace entre les deux nations slaves a d’ailleurs dégénéré en bagarre collective, sanctionnée par sept expulsions. Il mettait aux prises… les sélections féminines des moins de 18 ans.

Chez les seniors masculins, on n’en est pas venu récemment aux mains. Mais quiconque a assisté à une rencontre des Tchèques à Bercy, où ils ont joué leurs sept matchs de poules et désespéré les Français (5-2), n’a pas manqué de constater que le maillot le plus porté par leurs supporteurs est floqué au nom d’un héros national, Jaromir Jagr, numéro 68.

Le chiffre ne doit rien au hasard : il fait directement référence au Printemps de Prague et à l’écrasement de l’insurrection populaire par les troupes du Pacte de Varsovie. Jagr l’a choisi en hommage à son grand-père, mort en prison cette année-là.

Toujours actif à l’âge de 45 ans au sein des Florida Panthers, dans la Ligue nord-américaine (NHL), l’ailier droit a pris sa retraite internationale en 2015, à l’issue du championnat du monde organisé à Prague et à Ostrava. Il a toujours pris soin de préciser que ce 68 n’avait rien de russophobe, lui-même ayant fait un passage en 2008 au sein du club de l’Avangard Omsk, au sud-ouest de la Sibérie.

Le mythique numéro 68 de Jaromir Jagr

Sur le papier, la Russie, 2e au classement de la fédération internationale (les Tchèques sont sixièmes), est en position de favori, comme cela a pratiquement été toujours le cas depuis l’avènement, dans les années 1950, de la Bolchaïa Krasnaïa Machina, la grande machine rouge. Les deux pays comptent pourtant aujourd’hui le même nombre de licenciés, autour de 100 000, alors que la population russe est quinze fois supérieure à celle de la République tchèque.

Depuis la dislocation de l’empire soviétique et la partition de la Tchécoslovaquie, en 1991 et 1992, les Tchèques ont davantage brillé que leurs adversaires aux championnats du monde, avec six titres contre cinq. Le dernier en date, en 2010, avait une saveur particulière puisqu’il fut obtenu contre la Russie (2-1) à la Lanxess Arena de Cologne.

Une revanche après la défaite (4-2) concédée en phase de poules aux Jeux olympiques de Vancouver, trois mois plus tôt. L’attaquant Tomas Fleischmann avait alors tenté de motiver ses coéquipiers en invoquant l’histoire : « Ils ont occupé notre pays, nous leur appartenions et nous avons lutté pour jouir pleinement de notre indépendance. Il n’y a pas une équipe contre laquelle nous sommes plus motivés que contre les Russes. »

Tisková konference Českých Olympioniků - Nagano 1998

Les Tchèques ne manquent jamais de rappeler que, contrairement aux Russes depuis la fin de l’URSS, ils ont remporté un titre olympique. C’était en 1998 à Nagano, une victoire 1-0 contre leurs meilleurs ennemis, grâce à un but inscrit par Petr Svoboda – dont le patronyme signifie « liberté ». Aux Jeux, le dernier sacre des hockeyeurs russes remonte à 1992, à Albertville, avec cette « équipe unifiée » qui regroupait six anciennes républiques soviétiques.

L’événement fut aussi marqué par la dernière apparition, à l’édition hivernale, de la Tchécoslovaquie qui, pour le coup, devait ne jamais connaître la gloire olympique en hockey. La faute, évidemment à l’URSS, qui phagocyta les titres, sept en neuf participations entre 1956 et 1988.

La dernière opposition en terre française entre hockeyeurs de ces deux pays date d’ailleurs d’Albertville, une victoire (4-3) de la Tchécoslovaquie contre cette « équipe unifiée » en phase de poules. Mais la légende de ce sport a plutôt retenu la précédente, en 1968 à Grenoble, et surtout les deux confrontations dramatiques qui l’ont suivie à Stockholm. « Mes parents me parlent encore du match de 1969, avait rappelé Petr Svoboda, le héros de Nagano. Battre les Russes est toujours quelque chose d’important pour notre génération. »

A Grenoble, le 15 février 1968, les Tchécoslovaques réussissent l’exploit de mettre fin à cinq années d’invincibilité soviétique en s’imposant 5-4. Leur pays est alors en pleine ébullition, depuis la nomination au poste de premier secrétaire du Parti communiste du réformateur Alexandre Dubcek, qui inaugure le Printemps de Prague.

Un an plus tard, les protagonistes se retrouvent à Stockholm pour le championnat du monde. Prague aurait dû l’accueillir, mais le 22 août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie sont entrées en Tchécoslovaquie pour écraser le « socialisme à visage humain ».

Un tel contexte ne nécessite pas de motiver les joueurs. L’entraîneur Jaroslav Pitner insiste : « battre les Soviétiques a toujours été notre objectif majeur. Mais jamais notre volonté de gagner contre ce vieux rival n’a été aussi forte qu’aujourd’hui. » Le piège fonctionne, puisque la Tchécoslovaquie remporte les deux matchs (2-0 et 4-3) devant un public suédois qui lui est tout acquis.

Finales olympiques en 1968 et en 1998

A l’issue du premier, les vainqueurs refusent de serrer la main aux perdants. La deuxième victoire s’accompagne du saccage à Prague des locaux de la compagnie aérienne soviétique Aeroflot, un acte soupçonné d’être une provocation policière.

Avec un sens certain de l’exagération, les Tchèques peuvent affirmer qu’ils ont été les maîtres des Russes, leur apprenant à manier la crosse et le palet. Leur antériorité dans ce sport, est de fait, incontestable. Rattachée alors à l’empire austro-hongrois, la Bohême fut même, en 1908, un des cinq membres fondateurs, à Paris, de la Ligue internationale de hockey, ancêtre de l’actuelle fédération.

Olympics 1968 Hockey. USSR-Czechoslovakia

Ses joueurs ne pratiquent pourtant pas la discipline codifiée par les Canadiens, mais le bandy. Ce football à patins sur glace naturelle va être réintroduit dans la Russie tsariste en 1911, après une prohibition de plus de deux décennies – qu’aurait obtenue, selon la légende, un aristocrate influent, fâché par une balle reçue dans l’œil.

La passion tchèque pour le hockey naît réellement en janvier 1909, quand une sélection pragoise peut s’initier lors de la Coupe de Chamonix. L’engouement est rapide puisque la Tchécoslovaquie participe en 1920 à l’intronisation olympique du hockey, lors des Jeux d’été d’Anvers, puis au premier championnat du monde de 1930.

Alors qu’il faut attendre 1932 pour qu’un match soit disputé sur le territoire soviétique : une équipe allemande vient effectuer une démonstration à Moscou, qui tourne à la déroute face aux joueurs de bandy locaux, vifs, adroits et infatigables. La revue Fitzkultura i Sport ne manifeste cependant aucun enthousiasme devant ce « hockey purement individualiste » et « pauvre en combinaisons », en un mot « primitif ». La Komsomolskaïa Pravda, « vérité » des jeunesses communistes, dénonce une « extrême rudesse typique des pays bourgeois de l’Ouest ».

Parfois surnommé « hockey russe », le bandy n’est pas menacé jusqu’à la création, en 1946, d’un championnat national de hockey respectant les règles canadiennes. Le pouvoir a compris que le hockey est le sport qui permettra de planter le drapeau rouge sur la glace et d’en remontrer à l’ennemi capitaliste.

Mais il faut encore apprendre et quels meilleurs instructeurs que les Tchécoslovaques ? La transmission symbolique s’effectue en février 1948, quand les joueurs du LTC (Lawn Tennis Club) Prague font la démonstration de leurs talents à la nouvelle patinoire installée dans le stade du Dinamo Moscou. Cette équipe est alors la meilleure en Europe.

Les Tchécoslovaques enseignent le hockey aux Soviétiques

Les apprentis soviétiques n’en perdent pas une miette et filment les séances d’entraînement de leurs invités. C’est de Moscou que ceux-ci sont informés du Coup de Prague – la prise du pouvoir par les communistes –, prélude à la transformation de leur pays en démocratie populaire.

Le Russe Vjacheslav Butsaev et le Tchèque Robert Reichel se font des gentillesses lors d’un Mondial de hockey en 1997 en Finlande. | ILKKA RANTA / AFP

En dépit d’un accident d’avion qui a coûté la vie à six de ses éléments, la Tchécoslovaquie est championne du monde en 1949, à Stockholm. Mais elle sera dans l’incapacité de défendre sa couronne l’année suivante : par crainte des défections, le déplacement à Londres est annulé à la dernière minute, puis dix joueurs sont arrêtés à Prague pour propagande anticommuniste – trois d’entre eux passeront cinq ans dans un camp de travaux forcés.

Elle sera encore absente à Paris, en 1951, année de la première apparition de la sélection soviétique. Trois ans plus tard, à Stockholm, l’URSS participe, lors du championnat du monde, à sa première compétition internationale qu’elle remporte en impressionnant le monde, à commencer par les Tchécoslovaques, battus 5-2.

Ce tour de force sera réédité en 1956 aux Jeux olympiques de Cortina d’Ampezzo (Italie). Non seulement la Tchécoslovaquie est une nouvelle fois mise au pas (7-4), mais les Américains sont battus et les Canadiens détrônés. Les objectifs du plan quinquennal sont remplis. « Il y a un domaine où les Russes ont atteint des résultats confinant à l’impossible, et ce domaine est le hockey sur glace », doit s’incliner le New York Times.