Robert Mueller, alors directeur du FBI, en 2013. | SAUL LOEB / AFP

Très rare dans les sagas politico-judiciaires aux Etats-Unis, le procureur spécial est un super-enquêteur aux pouvoirs élargis et à l’indépendance renforcée. Dans une atmosphère plombée à Washington par les soupçons de pressions venues de la Maison Blanche, le numéro deux du ministère américain de la justice, Rod Rosenstein, a nommé mercredi 17 mai Robert Mueller à cette fonction.

Cet ex-patron de la police fédérale se retrouve chargé de mener les investigations sensibles sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016 et une possible collusion entre Moscou et des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump.

Contrairement à un simple procureur fédéral, un procureur spécial (autrefois appelé « indépendant ») dispose d’une plus grande latitude d’action. Il est nommé quand des fortes suspicions de conflit d’intérêt gangrènent une enquête touchant à des institutions clés du pouvoir, ou encore quand des « circonstances extraordinaires » le justifient au nom de « l’intérêt du public ».

  • Quelle est la mission de Robert Mueller ?

L’ordre de mission signée de M. Rosenstein l’« autorise à mener l’enquête [dont l’existence a été] confirmée par James Comey, alors directeur du FBI, lors de son audition devant la commission sur le renseignement de la Chambre des représentants, le 20 mars 2017 ».

Le document précise ensuite de manière l’étendue des investigations, qui concernent « tous les liens et/ou coordination entre le gouvernement russe et des personnes liées à la campagne du président Donald Trump » et « tout ce qui pourrait être révélé par l’enquête ». M. Rosenstein évoque enfin un article de loi qui autorise le procureur spécial à enquêter sur les entraves à ses propres investigations.

  • Comment a-t-il été choisi ?

Le ministre de la justice n’a pas à justifier ses critères de choix d’un procureur spécial, qu’il est libre de choisir dans le secteur public ou privé s’il le souhaite. Robert Mueller est actuellement membre d’un cabinet juridique privé qu’il va quitter.

Toutefois, le profil de M. Mueller, directeur du FBI de 2001 à 2013, sous George W. Bush puis Barack Obama, et réputé pour son indépendance et sa résistance aux pressions, en faisait le candidat idéal. Ce choix a d’ailleurs été salué par les démocrates comme par les républicains.

  • A qui va-t-il rendre des comptes ?

Le procureur spécial n’a pas à tenir informé sa hiérarchie au quotidien, même s’il demeure formellement subordonné au ministre de la justice et a fortiori au président. Dans le cas de M. Mueller, son interlocuteur direct sera M. Rosenstein, ministre de la justice adjoint. Le ministre de la justice, Jeff Sessions, s’est en effet récusé dans cette affaire car il avait omis d’indiquer lors d’une audition au Sénat avoir entretenu des contacts avec l’ambassadeur de Russie à Washington, Sergueï Kislyak.

M. Mueller devra ainsi informer M. Rosenstein des actes d’enquêtes « significatifs » qu’il peut être amené à effectuer. Ce dernier aura le droit de s’y opposer. M. Rosenstein peut à tout moment révoquer M. Mueller s’il juge qu’il a commis une faute grave ou qu’il se retrouve en situation de conflit d’intérêt.

Mais c’est M. Mueller qui aura le pouvoir de déclencher lui-même des poursuites dans le cadre de son enquête, le cas échéant. L’ordre de mission signé par M. Rosenstein précise d’ailleurs que « si le procureur spécial estime cela nécessaire et opportun, [il] est autorisé à poursuivre les crimes fédéraux révélés par l’enquête ».

  • Quels sont les exemples passés ?

Un magistrat équipé de pouvoirs similaires, Kenneth Starr, avait failli faire tomber le président Bill Clinton dans l’affaire Whitewater, devenue affaire Monica Lewinsky, dans les années 1990. La ministre de la justice Janet Reno avait chargé en 1999 le sénateur John Danforth de diriger l’enquête sur le rôle du FBI dans l’assaut mené en 1993 contre la secte des davidiens à Waco au Texas.

L’un des procureurs spéciaux les plus connus reste Archibald Cox, qui enquêtait sur l’espionnage du Parti démocrate dans l’immeuble du Watergate à Washington. Le président Richard Nixon l’avait sèchement limogé lors d’un épisode baptisé le « Massacre du samedi soir » au cours duquel le ministre de la justice Elliot Richardson et son adjoint William Ruckelshaus avaient démissionné. L’affaire coûta finalement son poste au président Nixon.

C’est la leçon de Nixon : au-delà des textes de lois ou de son ordre de mission, le procureur spécial tire l’essentiel de son indépendance du risque politique que représenterait son limogeage.