Ce fut une réunion à propos de laquelle, à l’évidence, la Commission européenne se voulait la plus discrète possible. Tenue à Bruxelles, mercredi 17 mai, elle visait officiellement à parler, dans le cadre de la « longue coopération » entre les autorités américaines et européennes, des « nouvelles menaces » terroristes et de la sécurité aérienne. En fait, il s’agissait d’évoquer l’éventuelle interdiction, pour les passagers européens se rendant aux Etats-Unis, d’emporter en cabine leur ordinateur portable, leur tablette ou leur lecteur de DVD.

En mars, les Etats-Unis avaient annoncé une telle mesure visant les vols en provenance de dix aéroports de pays arabes et de Turquie, en invoquant un risque d’attentats à l’explosif. Elle découlait des informations qui auraient été transmises aux autorités américaines par Israël, un pays « ami ». Ce sont ces renseignements au sujet de possibles nouvelles menaces de l’Etat islamique que le président Donald Trump a apparemment communiqués à la Russie – sans en parler immédiatement aux Européens, à la grande colère de certains d’entre eux.

Aucune décision n’a été prise

Mercredi, deux commissaires, Dimitris Avramopoulos (affaires intérieures) et Violeta Bulc (transports), des experts de sept pays (France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Irlande et Pays-Bas), ainsi que la vice-ministre américaine du département de la sécurité intérieure, Elaine Duke, étaient autour de la table. Les responsables de la Commission auraient refusé toute décision unilatérale et rapporté, selon un porte-parole, que les preuves avancées jusqu’ici par les Etats-Unis leur semblaient insuffisantes.

La rencontre s’est dès lors soldée par un très bref communiqué évoquant seulement un « échange d’informations » sur la meilleure manière de protéger les passagers tout en assurant la fluidité du trafic aérien. Une autre réunion aura lieu la semaine prochaine à Washington.

« Les Etats-Unis n’ont formulé aucune demande et aucune décision n’a été prise », assurait mercredi soir une source à la Commission. L’embarras des Européens est évident, et la décision des Etats-Unis apparemment bien établie : les premiers veulent éviter ce qu’un expert qualifie de « risque de désastre économique », les seconds entendent visiblement imposer une mesure générale d’interdiction ne visant « pas seulement les Européens », comme l’a précisé mardi un porte-parole du département Homeland Security à la presse de son pays.

Les mesures adoptées jusqu’ici par l’administration Trump pour des compagnies arabes concernent 350 vols hebdomadaires, mais on dénombre plus de 3 600 vols partant chaque semaine de 59 aéroports européens vers les Etats-Unis, selon le Conseil international des aéroports (AIC). Et on estime que quelque 90 % des passagers transportent des appareils qui pourraient être bannis.

Difficultés, retards et coûts

Le département américain de la sécurité intérieure se dit « conscient » des difficultés, retards et coûts – près de 900 millions d’euros, d’après l’Organisation du transport aérien international, IATA – que pourrait entraîner une mesure générale d’interdiction mais affirme que la sécurité des passagers doit être la vraie priorité. Les professionnels du secteur objectent que c’est le stockage de nombreuses batteries au lithium dans les soutes qui rendrait en fait les vols moins sûrs.

Alexandre de Juniac, le patron français de l’IATA, a selon l’agence Bloomberg écrit aux responsables américains et européens pour lui faire part de ses « nombreuses préoccupations ». Il propose des mesures alternatives, comme l’utilisation de nouveaux détecteurs d’explosifs, de chiens renifleurs ou de programmes permettant de mieux identifier les passagers « à risques ».

Les responsables des institutions européennes espèrent encore prévenir une mesure générale d’interdiction. Celle-ci devait en fait être annoncée dès la semaine dernière, selon des sources américaines. « L’usage de scanners corporels, l’interdiction de liquides, la présence de policiers à bord ou la transmission obligatoire des données sur les passagers : toutes ces mesures nous ont été imposées sous la menace de réinstaurer des visas », souligne l’eurodéputée libérale Sophie in’t Veld. Elle estime que la plupart d’entre elles n’ont servi à rien.