La neutralité d’Internet est de nouveau sur la sellette aux Etats-Unis. Le régulateur américain du secteur des télécommunications a décidé, jeudi 18 mai, d’annuler une décision datant de 2015 obligeant les fournisseurs d’accès à traiter tous les services en ligne de la même manière.

Par cette décision, votée à deux voix contre une, la Commission fédérale des communications américaines (FCC) relance une bataille qui oppose depuis une dizaine d’années les fournisseurs d’accès aux utilisateurs d’Internet. Le concept de neutralité garantit un accès technique universel au Web, quel que soit le profil de l’usager ou le service auquel il se connecte. Les fournisseurs d’accès revendiquent au contraire de faire payer plus pour des services gourmands en bande passante, comme par exemple les sites de streaming.

La justification d’un tel revirement de la part de la FCC repose sur le fait que la réglementation de 2015 aurait nui à l’investissement dans les infrastructures. Ajit Pai, le président de l’agence de régulation, a cité récemment une étude selon laquelle les investissements des grands fournisseurs d’accès à Internet avaient baissé de 5,6 % entre 2014 et 2016. Cette chute serait due, selon lui, à une réglementation trop contraignante, dont la disparition permettrait d’inverser cette tendance.

Pouvoir sans borne

Cette interprétation est largement contestée par les fournisseurs de contenus, les associations de consommateurs et l’opposition démocrate. Ils estiment que cette dérégulation est une remise en cause de la neutralité du Net qui donne un pouvoir sans borne aux fournisseurs d’accès en leur donnant la possibilité de remodeler la Toile selon leurs propres intérêts. Mignon Clyburn, membre démocrate de la FCC qui a voté contre le retrait de la décision de 2015, considère que « l’avis rendu aujourd’hui va gravement nuire à la capacité de la FCC à défendre les consommateurs dans la compétition du XXIe siècle ».

Pour appuyer son propos, Mme Clyburn a cité une autre étude réalisée par l’Internet Association, le lobby qui représente les intérêts des gros utilisateurs du Web comme Facebook ou Alphabet (Google). Celle-ci affirme que, depuis l’instauration de la réglementation de 2015, les investissements des fournisseurs d’accès avaient au contraire augmenté de 5 %. Elle estime par ailleurs, que les efforts réalisés sur les infrastructures qui permettent d’améliorer la qualité et la puissance de la bande passante ne sont pas le seul critère à prendre en compte. L’investissement des entreprises de l’Internet devrait également être intégré dans la réflexion.

De leur côté, les opérateurs téléphoniques et les câblo-opérateurs considèrent que la neutralité du Net est un frein à l’innovation. Pratiquer des tarifs plus élevés sur certains services leur permettrait de financer cette innovation qu’une partie des consommateurs est prête à payer. La décision de 2015 a été « une grave erreur qui menace l’innovation et l’investissement dans un secteur important de l’économie américaine », explique l’opérateur de télécommunication Verizon, qui s’est félicité de la décision prise par M. Pai.

Plusieurs mois de débats et consultations

« Les règles de 2015 fonctionnent et le secteur de l’Internet reste opposé à tout changement à la réglementation de la FCC à propos de la neutralité du Net », a au contraire réagi l’Internet Association dans un communiqué, estimant que les fournisseurs d’accès à Internet « ne doivent pas être capables d’utiliser leur position pour jouer aux gardes-barrières afin de donner la priorité à leurs propres contenus au détriment des autres ».

La décision de la FCC va maintenant faire l’objet de débats et de consultations publiques qui vont durer plusieurs mois et qui pourront donner lieu à une modification du texte avant un vote définitif.

De son côté, le président de la Commission du commerce du Sénat, le Républicain John Thune, a expliqué jeudi qu’il ne fallait pas voir la décision de la FCC comme un aboutissement, mais comme une simple étape, alors que plusieurs grands groupes comme Verizon et Comcast souhaitent que le Congrès s’empare du sujet pour élaborer une nouvelle loi. « Nous avons besoin d’une nouvelle loi pour établir des règles claires et durables qui permettent de trouver un équilibre entre innovation et investissement dans l’ensemble de l’écosystème d’internet », a conclu M. Thune.