Dans l’usine William Saurin de Saint-Thibault-des-Vignes (Seine-et-Marne), en décembre 2016. | LIONEL BONAVENTURE / AFP

Qui va avaler William Saurin, ce « régal pour petits et grands » vanté depuis des décennies à coups de campagnes publicitaires ? Les salariés du fabricant de conserves plus que centenaire retiennent leur souffle. Leur sort sera bientôt tranché. Les prétendants au rachat de cette filiale du groupe Turenne Lafayette sont en train d’abattre leurs cartes, en nouant des alliances pour présenter chacun l’offre la plus attractive possible.

Grâce à ces accords, tous les candidats semblent désormais prêts à reprendre l’intégralité du pôle mis en vente. Soit deux marques fortes, William Saurin et Garbit, mais aussi d’autres labels comme Petitjean ou La Belle Chaurienne, sept sites industriels, 914 salariés en équivalent temps plein et un chiffre d’affaires de 320 millions d’euros.

Les pouvoirs publics et les banques espèrent récupérer une bonne part des dizaines de millions d’euros injectés depuis des mois.

Le choix du repreneur devrait intervenir dans les prochaines semaines, sous l’œil très attentif des pouvoirs publics et des banques. Ils espèrent récupérer au passage une bonne part des dizaines de millions d’euros injectés depuis des mois pour sauver ce groupe en déroute.

Quatre candidats restent en concurrence. Deux des cinq repreneurs intéressés, le fonds LBO France et la coopérative Cecab, connue pour sa marque D’Aucy, ont en effet choisi de déposer une offre commune, ont-ils annoncé jeudi 18 mai. Cet accord place le duo parmi les favoris. Cecab manquait d’argent pour financer seul l’opération. L’appui de LBO France, un des principaux fonds français, qui aurait la majorité du capital, lui donne les moyens nécessaires.

« William Saurin n’était pas très bien géré »

Les autres candidats ont aussi des atouts. Le fonds américain Sandton Capital Partners s’est associé à Arnaud Marion, un manager de crise expérimenté, qui a notamment organisé la restructuration des poulets Doux. Le groupe Cofigeo, propriétaire des marques de plats cuisinés Raynal & Roquelaure et Zapetti, a également remis une offre. Pouvant difficilement racheter tout William Saurin pour des raisons de concurrence, Cofigeo a trouvé in extremis un partenaire, Arterris. Cette coopérative de Castelnaudary (Aude) reprendrait la marque de cassoulet La Belle Chaurienne. « Ensemble, nous proposons ainsi d’acheter tout le pôle, tout en préservant les équilibres concurrentiels », expliquent Jérôme Foucault et Mathieu Thomazeau, les coprésidents de Cofigeo.

La Maison Rivière, une autre PME de Castelnaudary connue pour ses cassoulets et autres produits du terroir, est sur les rangs. Elle s’intéresse elle aussi à La Belle Chaurienne, considérée comme l’une des pépites de l’ensemble, aux quenelles Julien Mack et à CCA du Périgord, spécialiste de produits à base de canard. Elle aussi discute avec un ou deux industriels pour monter une proposition d’ensemble.

Au sein du groupe Turenne Lafayette, le pôle constitué autour de William Saurin et Garbit a longtemps fait figure de « machine à cash ». En réalité, « l’ancienne propriétaire Monique Piffaut n’a cessé de puiser dans cette poche pour financer les autres activités et ses acquisitions, raconte un proche du groupe. Ce pôle a été vampirisé par le reste. » En outre, « William Saurin n’était pas très bien géré, les usines ont vieilli, et l’ensemble mérite non pas une restructuration, mais une sérieuse réorganisation », commente un des candidats à la reprise.

L’aide financière s’épuise

Résultat : ce pôle n’a pas échappé à la tempête provoquée par le décès de Monique Piffaut en novembre 2016 et la découverte de malversations financières et d’une trésorerie très inquiétante. « Nous avions sous-estimé les besoins financiers, reconnaît un dirigeant. Aujourd’hui, ce pôle est exsangue. » L’aide financière concédée par les banques et l’Etat s’épuise. La semaine dernière, l’usine William Saurin de Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne) a dû cesser son activité, alors qu’un de ses fournisseurs refusait de la livrer, faute d’avoir été payé. « La reprise de l’activité cette semaine est difficile. Le temps presse », indique Didier Pieux, secrétaire fédéral FO-FGTA.

Plutôt que de vendre William Saurin directement, le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et l’administrateur judiciaire qui gèrent ensemble tout le dossier Turenne Lafayette s’orientent à présent vers un passage au tribunal de commerce, dans le cadre d’une « prépack cession ». Cette nouvelle procédure permet à un mandataire ad hoc ou un conciliateur de préparer la cession d’une société avant son dépôt de bilan, de manière à ce que la phase critique du redressement judiciaire ne dure que quelques semaines.

C’est dans ce cadre que les banques créancières ont commencé à examiner les offres jeudi 18 mai, et que des auditions devant le CIRI sont prévues dans les prochains jours. Le bilan de William Saurin devrait être déposé dans la foulée, afin que le tribunal puisse désigner un repreneur avant les congés d’été.

Verdict du tribunal de commerce le 29 mai

Initialement, le CIRI et la banque Rothschild chargée de trouver des repreneurs espéraient que les offres valoriseraient l’affaire à plus de 100 millions d’euros. Mais les candidats proposent plutôt de l’ordre de 80 millions. Et seule une partie de l’argent permettra de rembourser les banques et l’Etat. Dans le projet de LBO France, environ 40 millions sont par exemple destinés à financer l’activité et les investissements indispensables.

Le CIRI et la banque Rothschild ont aussi œuvré à la cession des autres activités du groupe Turenne Lafayette. Le pôle charcuterie, avec ses marques Madrange, Paul Prédault ou Montagne Noire, qui emploie près de 1 600 personnes et fabrique une tranche de jambon sur deux vendues en France, est passé sous le contrôle de la coopérative Cooperl. Là encore, signe de l’urgence, l’entité a été placée en location-gérance chez le repreneur sans attendre le verdict du tribunal de commerce qui doit examiner l’offre le 29 mai.

Le même jour, les juges statueront sur une autre offre de reprise, celle de Pastacorp, propriétaire des pâtes Lustucru, sur les activités pâtes fraîches et quenelles de FTL avec la marque Louison, soit trois sites et 200 salariés. Reste encore à sceller le sort de l’usine de fabrication de salades Geo et celle de pizzas Sombacker. La vente à la découpe sera alors terminée.