Belin-Beliet, le 15 mai 2017. Christine Tran Van Chuoï, conseillère municipale (sans étiquette) dans l'opposition PS, et son fils Rémy Tran Van Chuoï, agent de sécurité et pompier volontaire. Christine a voté PS alors que son fils a fait le choix du FN. | Morgan Fache/Collectif Item / Morgan Fache

Christine Tran Van Chuoï n’aime pas parler politique avec sa famille. On ne sait jamais, elle pourrait avoir des mauvaises surprises. Cette blonde souriante aux discrets tatouages est conseillère municipale (sans étiquette) dans l’opposition socialiste à Belin-Béliet, un village de 5 000 habitants du sud de la Gironde. Elle préférait ne pas savoir pour qui son fils, Rémy, a voté à l’élection présidentielle. Mais on lui a posé la question. La réponse a confirmé ses craintes : il a voté Marine Le Pen.

La mère et le fils se retrouvent chez elle, au bord de la piscine, un soir de grosse chaleur, dix jours après le second tour de la présidentielle. Sous la table, un grand chien noir à trois pattes multiplie les allers-retours entre la terrasse et le jardin. Christine est la première à se lancer. Cette année, elle a voté Emmanuel Macron dès le premier tour. « C’est vrai ? Je ne te parle plus », glisse Rémy, grand blond athlétique aux yeux bleus, dont le corps est recouvert de tatouages maoris. « Moi non plus », rétorque la mère. Le ton reste affectueux.

Avant le scrutin, elle avait mis Rémy en garde, à tout hasard : « Je lui avais dit que Marine Le Pen est extrême et que voter pour elle peut être dangereux, par rapport au racisme, la sortie de l’Europe et le retour au franc. » « Avec le métier que je fais, je le deviens, raciste », soupire Rémy, ancien militaire devenu agent de sécurité au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, à quelques kilomètres de là, et pompier volontaire.

« Tu ne vois pas les choses comme moi parce que tu ne travailles pas dans la sécurité »
Rémy, le fils

Le jeune trentenaire, casquette à l’envers sur la tête, explique avoir voté Marine Le Pen parce qu’elle est « pour les Français, pas pour que les étrangers viennent », parce que « les taxes sont trop élevées » et parce qu’il en a « marre de l’insécurité en France ». « Avec tout ce qui se passe, Daech, etc. Il faut un gros changement. Tu ne vois pas les choses comme moi parce que tu ne travailles pas dans la sécurité », dit-il à sa mère. « Oui, peut-être », hasarde-t-elle.

De l’insécurité, pourtant, Rémy admet que, dans son village, « il n’y en a pas ». Des étrangers « non plus ». « Mais c’est pas parce que je ne les vois pas que je ne peux pas voter pour elle, proteste-t-il. Je vote pour le pays, pas pour Belin-Béliet. » Lui qui doit son patronyme à son arrière-grand-père paternel vietnamien venu se réfugier en France ne voit « aucune incohérence » dans son vote. « Ce ne sont pas les Vietnamiens qui font les attentats. »

Dans sa vie à lui, « tout baigne », dit-il, sourire en coin. Le jeune homme s’apprête à faire construire sa maison sur un terrain dont sa mère a hérité. Il s’y installera avec sa compagne. Il aime sa vie dans ce village paisible, bien loin de ce qu’il décrit et qui l’a poussé à voter pour le parti d’extrême droite.

Son fils « n’a pas compris »

Rémy a pourtant voté pour la candidate FN dès 2012. « Moi, je ne la trouve pas si dangereuse que ça », argumente-t-il. Christine veut croire que son fils n’a « pas compris », qu’il n’est « pas vraiment raciste » et qu’il s’agit d’une erreur de jeunesse. « Tu n’es plus un gamin, tu as 30 ans, mais ça ne fait pas longtemps que tu t’intéresses à la politique. Je me dis qu’après, en prenant plus de maturité, tu te rendras compte qu’elle est raciste et dangereuse. » « C’est son père qui l’était, pas elle », objecte-t-il. « Mais elle aussi ! En plus, elle dit des conneries, répond Christine. Et puis je n’aime pas sa personnalité, elle essaye d’embobiner les gens. Justement dans ta catégorie d’âge. »

Malgré leurs différends, la mère et le fils ne haussent jamais le ton. « Je ne voudrais pas que la politique soit un motif de dispute. » Elle offre un large sourire : « Franchement, en général, j’évite le sujet. »