Le bâtiment de l’Instance vérité et dignité, en décembre 2016. | FETHI BELAID / AFP

Connivences, pots-de-vin, documents falsifiés, contrebande… Imed Trabelsi, le neveu de l’épouse de Zine El-Abidine Ben Ali, l’ex-autocrate renversé par la révolution tunisienne de 2011, a livré, vendredi 19 mai, un témoignage exceptionnel sur les coulisses de la dynastie affairiste aux pratiques mafieuses qui avait mis la Tunisie en coupe réglée pendant les années de dictature. Agé de 42 ans, Imed Trabelsi, condamné à un total de 108 ans de prison dans différentes affaires de malversations, s’est exprimé lors d’une audience publique de l’Instance vérité & dignité (IVD) sous la forme d’un enregistrement diffusé en différé. Le document avait été réalisé à la prison de la Mornaguia, près de Tunis, où Imed Trabelsi est détenu depuis 2011.

Institution phare de la justice transitionnelle en Tunisie, l’IVD, mandatée pour enquêter sur les violations des droits de l’homme et les crimes économiques commis entre 1955 et 2013, avait décidé de consacrer sa séance d’auditions de vendredi aux dossiers de corruption. Le choix n’est pas anodin, à l’heure où le président de la République, Beji Caïd Essebsi, tente de faire adopter par l’Assemblée des représentants du peuple un projet de loi de « réconciliation économique » amputant l’IVD de ses compétences en matière de corruption. Le projet de loi est dénoncé par ses opposants comme permettant un « blanchiment de la corruption » commise sous le régime de Ben Ali. Les tensions récurrentes entre l’IVD, opérationnelle depuis 2014, et la présidence de la République n’ont cessé de perturber le processus de justice transitionnelle en Tunisie.

Système oligarchique

Avec le témoignage d’Imed Trabelsi, l’IVD tente de démontrer la pertinence de son travail de dévoilement du système oligarchique mis en place par Ben Ali durant ses vingt-trois ans passés au pouvoir, entre novembre 1987 et janvier 2011. « Honnêtement, sincèrement, je reconnais mes erreurs, adéclaré Imed Trabelsi. Je ne suis pas un ange. Je m’excuse devant le peuple tunisien. Je suis prêt à restituer les biens que j’ai détournés. J’aimerais bien redevenir propre et blanc comme je l’étais avant. »

Cheveux gris gominés et chemise blanche, le fils d’un frère de Leïla Trabelsi, l’épouse de Ben Ali, qui avait réussi à imposer sa parentèle au cœur des circuits économiques du pays, a fait le récit de sa carrière en triturant nerveusement entre ses doigts un mouchoir en papier. De la promotion immobilière à l’importation de bananes, en passant par le marché de l’alcool et la franchise de Bricorama, M. Trabelsi a raconté comment ses connexions familiales lui ont permis d’amasser une fortune. « Toutes les portes m’étaient grandes ouvertes », a-t-il résumé. « Si vous avez quelqu’un aux douanes, vous n’avez aucun problème », a-t-il ajouté en évoquant les fausses déclarations – monnayées – pour l’importation ou l’exportation au port de Radès, près de Tunis. « J’étais généreux avec les douaniers, a-t-il précisé. Ils savaient que je payais quatre ou cinq fois plus que les autres. » M. Trabelsi cite notamment les manipulations autour d’exportations – comportant prétendument de la valeur ajoutée locale – bénéficiant d’exemptions fiscales en vertu d’une loi datant de 1972. Ainsi, du cuivre importé de Libye était réexporté à partir de Radès sous le faux label de téléviseurs montés en Tunisie.

M. Trabelsi a également expliqué comment il a réussi, en « deux ans », à s’arroger 30 % du marché de l’alcool, légal et informel. « Cela rapportait un argent faramineux, a-t-il souligné. Je n’imaginais pas que les Tunisiens buvaient autant. » Chacune de ses affaires était conclue en intelligence avec une administration coopérative. « Les fonctionnaires de l’Etat faisaient partie de clans, dit-il. Il y avait une Bourse politique. [Les fonctionnaires] savaient qui montait, qui descendait. » Au passage, M. Trabelsi sème quelques grenades à retardement : « Il y a eu la révolution, mais rien n’a changé. Selon mes échos, le même système est encore opérationnel. »