Les affiches sont prêtes, la tribune a été dressée, des milliers de délégués sont attendus au 3e congrès extraordinaire du parti de la Justice et du Développement (AKP, islamo-conservateur) à Ankara, dimanche 21 mai.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, y retrouvera, après trois ans d’absence, la direction du parti qu’il a cofondé en 2001. Candidat unique, il est assuré d’être réélu haut la main lors d’une cérémonie retransmise en direct par les principales chaînes de télévision.

Selon les changements constitutionnels adoptés le 16 avril, le chef de l’Etat peut désormais diriger un parti politique. M. Erdogan, qui avait officiellement coupé ses liens avec l’AKP lors de son élection en tant que président en août 2014, en reprend le contrôle en vue des prochaines élections − législatives et présidentielle − prévues en 2019.

« Recep Tayyip Erdogan, le souffle et l’espoir du pays, redeviendra le bâtisseur de nouveaux projets », a assuré le premier ministre Binali Yildirim, promettant « une fête de la démocratie, le 21 mai ». Le lien entre M. Erdogan et son parti sont si familiers qu’il l’a décrit jadis comme son « cinquième enfant », lui qui est père de deux fils et de deux filles.

De plus en plus conservateur

Depuis sa victoire au référendum, Recep Tayyip Erdogan a endossé l’habit du président tout puissant, du « grand maître » (büyük usta), comme disent ses partisans. Avec le temps, il se montre de plus en plus conservateur, s’érigeant en « père la morale » auprès de sa population.

Quand M. Erdogan n’incite pas les femmes à faire « trois enfants au minimum », il s’oppose à la contraception, condamne l’avortement, déclare « contre nature » l’égalité hommes-femmes. Musulman pratiquant, il n’a eu de cesse de renforcer les taxes et la législation contre la vente et la consommation d’alcool. « Nous ne voulons pas d’une génération qui titube jour et nuit sous l’emprise de l’alcool », mettait-il en garde en 2013.

Mettant en doute l’argument de la santé publique, ses adversaires y voient une volonté d’islamiser la société. Mais le « Reis » (chef) sait mieux que quiconque ce qui convient à ses administrés. Il l’a rappelé dans son discours du Nouvel an 2017 : « Vous pouvez ne pas aimer quelque chose alors que c’est bon pour vous et aimer autre chose qui en réalité vous est néfaste ».

La polémique sur l’alcool a rebondi le 27 avril lorsque le département de police d’Antalya a émis un arrêté interdisant d’en consommer en plein air, sur les aires de pique-nique, dans les véhicules, les trains, les centre commerciaux et « sous les ponts », précise le texte. L’interdiction a hérissé les commerçants de la ville balnéaire, qui doivent déjà faire face à la baisse drastique de la fréquentation touristique.

Souci de bonne morale

Dans un souci de bonne morale, le gouvernement a interdit le 29 avril par décret les émissions télévisées de rencontres amoureuses dont le public turc était si friand. La décision couvait depuis plusieurs mois.

« Il y a des programmes étranges qui veulent abolir l’institution familiale, lui retirer sa noblesse et sa sainteté », avait prévenu le vice premier ministre, Numan Kurtulmus, en mars. « Ce sont des choses qui ne conviennent pas à nos coutumes, à nos traditions, à nos croyances, à la structure familiale turque et à la culture des terres anatoliennes», avait-il insisté.

Les fans de TV réalité, nombreux en Turquie, où un individu peut passer jusqu’à cinq heures par jour devant le petit écran, pourront toujours se consoler en suivant les épisodes du nouveau feuilleton historique « Payitaht Abdülhamid », qui relate la vie du sultan despotique Abdulhamid II avant son renversement par les Jeunes Turcs en 1909.

En phase avec l’engouement néo-ottoman des islamo-conservateurs, le feuilleton exalte des valeurs proches de celles affichées par le président Erdogan. La liberté d’expression, les minorités religieuses, la démocratie y sont décrits comme autant de menaces à la souveraineté et à l’identité nationales que les puissances étrangères veulent annihiler.

« Fermer la parenthèse » du kémalisme

Une orientation idéologique plus marquée, l’autoritarisme ont pris le pas sur le pragmatisme et l’ouverture manifestés par M. Erdogan lors de son arrivée au pouvoir en 2003. La priorité des islamo-conservateurs est de « fermer la parenthèse » du kémalisme – les dogmes de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque – pour consolider leur projet de refonte civilisationnelle.

La « nouvelle ère » annoncée par M. Erdogan verra l’émergence d’une Turquie « authentique et nationale », plus despotique que démocratique, plus eurasienne qu’européenne. Un tournant que le président Erdogan a voulu démontrer en visitant la Russie, l’Inde et la Chine, juste après le référendum sur le renforcement de ses prérogatives.

« Démocratie, changement, réforme », promet le « Reis » sur les affiches du 3e congrès de l’AKP. La réalité est toute autre. La croissance est en berne, les réformes sont en panne tandis que les procès et les arrestations − mandats d’arrêts pour deux cadres et deux journalistes du quotidien d’opposition Sözcü vendredi 19 mai − se succèdent à un rythme effréné.

«La Turquie s’est transformée en un pays qui mange ses enfants, ses universitaires, ses cadres », regrette Levent Gültekin, éditorialiste au quotidien Diken et militant de la première heure de l’AKP. « Sans démocratie, sans justice indépendante, ce pays ne fonctionnera pas. Ni les investisseurs, ni les touristes ne viendront. Personne ne veut de ce genre de pays », confiait-il au quotidien Hurriyet le 16 mai.