Recep Tayyip Erdogan a réintègré le parti au pouvoir après presque trois ans d’absence. | AP

En réintégrant mardi le parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) presque trois ans après l’avoir quitté, Recep Tayyip Erdogan entend briguer sa direction lors du congrès extraordinaire dimanche 21 mai, mettant en oeuvre l’un des changements clés portés par la révision constitutionnelle adoptée le 16 avril. Cette cérémonie sera retransmise en direct par les principales chaînes de télévision turques.

Cofondé par le président turc en 2001, ce parti domine depuis 15 ans la scène politique turque, remportant toutes les élections depuis 2002. M. Erdogan avait officiellement coupé ses liens avec l’AKP lorsqu’il avait été élu président en août 2014, comme le prévoyait alors la Constitution, mais avait conservé une large influence sur le parti qu’il avait pris soin de truffer de fidèles.

La révision constitutionnelle, adoptée le 16 avril, autorise désormais le président à réintégrer un parti politique. Cette mesure est la première du texte à être appliquée, la plupart de ses dispositions entrant en vigueur en 2019.

60 000 personnes attendues

Au cours du congrès extraordinaire convoqué dimanche à Ankara, 1 470 délégués de l’AKP sont appelés à élire le nouveau président du parti, précise l’agence progouvernementale Anadolu. Seul candidat, M. Erdogan est certain de remporter ce scrutin. Près de 60 000 personnes sont attendues à ce congrès, pour lequel 1 500 bus ont été affrétés à travers le pays, selon Anadolu.

Le slogan du congrès « une nouvelle période de rupture : démocratie, changement, réforme » laisse présager une restructuration au sein du parti, mais aussi au sein du gouvernement. Le quotidien Hürriyet affirme que 8 à 10 ministres pourraient être concernés par un remaniement.

Les détracteurs de M. Erdogan critiquent cette mesure de la révision constitutionnelle qui met fin à l’impartialité du président. Mais, ce dernier rétorque que le fondateur de la République, Mustafa Kemal, était lui aussi à la tête de son parti lorsqu’il dirigeait la Turquie. Lorsqu’il a été élu président, M. Erdogan avait remis les clés de l’AKP à l’universitaire Ahmet Davutoglu, l’un de ses plus proches collaborateurs, qui lui avait alors juré une « loyauté jusqu’à la mort ». Mais des tensions entre les deux hommes, longtemps restées discrètes, ont brusquement affleuré l’année dernière, et M. Davutoglu a été écarté sans ménagement, et remplacé par Binali Yildirim.

Contrôler les futures élections

Redevenir chef de l’AKP permettra à Recep Tayyip Erdogan de mettre fin aux rivalités internes et de préparer les prochaines élections législatives et présidentielle, prévues le 3 novembre 2019. « En redevenant chef de parti, [M. Erdogan] aura l’autorité formelle pour déterminer qui briguera des mandats sur les listes AKP », explique Aykan Erdemir, de la Fondation pour la défense de la démocratie basée à Washington, précisant toutefois que M. Erdogan avait gardé ce rôle « officieusement » même après avoir quitté le parti en 2014. « Tandis qu’il consolide davantage son pouvoir au sein de l’AKP, l’espace minuscule qui subsistait pour des désaccords au sein du parti va disparaître », ajoute M. Erdemir.

« En tant que président et chef de parti, Erdogan tiendra les rênes des députés supposés servir de contrepouvoir à l’exécutif et censés pouvoir déposer le président si nécessaire, affirme M. Erdemir. En devenant chef de l’AKP, Erdogan veut s’assurer qu’il a suffisamment de loyalistes au parlement pour éviter toute tentative de le destituer. »

Mardi, son retour à l’AKP a donné lieu à une mise en scène cinématographique, les chaînes de télévision turques retransmettant en direct des images aériennes du convoi présidentiel se rendant au siège du parti. Adepte d’un style politique musclé, M. Erdogan s’est autorisé à verser quelques larmes pendant la cérémonie qui a officialisé sa réintégration au sein de l’AKP.

« Je retrouve aujourd’hui mon parti, mon nid, mon amour », s’est-il ému. Les liens organiques entre M. Erdogan et l’AKP sont si forts que le président turc, qui est père de deux fils et deux filles, a autrefois décrit le parti comme son « cinquième enfant ».