La manifestation, sous la pluie, à Sao Paulo, dimanche 21 mai. | Andre Penner / AP

La pluie et une température frisquette aux yeux des Brésiliens (19 degrés) n’ont pas réussi à dissuader Luan, 28 ans, d’arpenter dimanche 21 mai l’avenue Paulista de Sao Paulo, pour réclamer le départ du président Michel Temer, ciblé par une enquête de la Cour suprême pour « corruption passive », « obstruction à la justice » et « participation à une organisation criminelle ». « Je suis ici pour réclamer (...) de nouvelles élections », défend le professeur d’histoire.

Membre du Parti des travailleurs (PT, gauche), le presque trentenaire ne cache pas qu’il défend la candidature de Luiz Inacio Lula da Silva, président (PT) de 2003 à 2010, quand bien même ce dernier fait lui aussi l’objet d’accusations de corruption. « Contre Temer, il y a des preuves, pas contre Lula », défend l’enseignant. « Ce sont tous des corrompus, ils doivent tous partir ! », tranche, un peu plus loin Joao Batista Paes de Barros, professeur de sport et directeur d’école à Sao Paulo.

Quatre jours après la tempête déclenchée par la révélation d’une écoute compromettante, laissant entendre que Michel Temer aurait acheté le silence d’Eduardo Cunha, l’ex-président de la chambre des députés qui a été condamné en mars à 15 ans de prison pour corruption, le Brésil était à nouveau dans la rue.

Le président joue la montre

Mais à Sao Paulo, comme à Rio de Janeiro et dans la plupart des capitales brésiliennes, la mobilisation ne s’est pas traduite pas une déferlante populaire. Seules des organisations de gauche avaient appelé à manifester, réclamant l’organisation d’élections directes (bien que seules des élections indirectes sont prévues dans la constitution à moins de deux ans du prochain scrutin présidentiel). Les mouvements de droite qui, un an plus tôt, défendaient la destitution de la présidente Dilma Rousseff (PT), tels que Vem Pra Rua ou Movimento Brasil Livre (MBL), ont préféré s’abstenir. De peur de troubles à l’ordre public, mais aussi par manque de convictions. « Nous attendons d’avoir plus d’informations sur les écoutes », explique Kim Kataguiri, leader du MBL, joint par téléphone samedi.

« La clameur populaire pourrait faire tomber Michel Temer, mais imaginer une prise de la Bastille est une idée romantique. Le Brésil est bien trop divisé pour cela », commente Paulo Baia, politologue professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro.

Dans une brève allocution, samedi, où il a dénoncé une opération machiavélique orchestrée par Joesley Batista, mis en cause dans le scandale de corruption « Lava-Jato », et des manipulations opérées sur la bande, le chef d’Etat a exigé la suspension de l’enquête de la Cour suprême. Cette dernière doit se prononcer mercredi sur la poursuite, ou non, de l’investigation.

D’ici là, le président joue la montre. « Sur la base des faits, le maintien de Michel Temer au pouvoir est inacceptable. Mais politiquement, il a des chances de s’en sortir. Il est habile », observe le politologue Mathias de Alencastro.

La destitution réclamée

Ultra-impopulaire, projeté sur la première marche du pouvoir suite au déclenchement d’une procédure d’« impeachment » visant Dilma Rousseff, dont il était le vice président, Michel Temer, membre du parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), fait à son tour l’objet de diverses demandes de destitution. L’une d’elle émane, depuis samedi, de l’Ordre des avocats du brésil (OAB), puissante organisation représentée dans 26 Etats brésiliens.

« Nous demandons la destitution, une fois de plus, d’un président, la deuxième en un an et quatre mois », écrit l’OAB, se disant à la fois « honoré » et « triste » de défendre ainsi le citoyen brésilien. Pour l’OAB, au-delà d’avoir acheté le silence d’Eduardo Cunha, Michel Temer est coupable d’avoir écouté un entrepreneur véreux lui raconter comment il achetait les juges brésiliens, sans le dénoncer à la justice. Un « crime de responsabilité ».

En dépit de ces accusations et de divers appels à la démission, Michel Temer tente de faire front. Le chef d’Etat se bat pour conserver l’appui de ses alliés au Congrès, en particulier, celui du parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, historiquement centre gauche mais aujourd’hui étiqueté centre droit). Sans ce soutien, Michel Temer n’aurait plus les moyens de gouverner. S’en suivrait l’abandon des réformes structurelles qu’il a lancées et qui font, aujourd’hui, sa raison d’être.

Le PSDB hésite. Rompre avec Michel Temer, lui permettrait de jouer la carte de la moralité. Mais une partie du PSDB s’affole de l’« après ». Laisser couler Michel Temer plongerait le pays dans une nouvelle période d’incertitudes, toxique pour sa fragile santé économique.

Dimanche soir, un dîner était prévu au palais de l’Alvorada, résidence présidentielle de Brasilia, avec les principaux chefs de partis pour consolider ces soutiens. Faute de participants, le souper aurait été annulé.