Thibaut Pinot, au départ de la 13è étape du Tour d’Italie, à Reggio Emilia. | LUK BENIES / AFP

Dans la pièce de théâtre qu’est une conférence de presse du Tour d’Italie, un figurant finit toujours par entrer en scène et demander à l’acteur principal ce qui lui plaît dans le « bel paese ». Lorsqu’il obtiendra, enfin, cette victoire d’étape qu’il est entre autre venu chercher sur le 100e Giro, Thibaut Pinot n’aura pas à se forcer pour flatter le patriotisme local : l’Italie le passionne.

Le Monde lui avait posé la même question il y a un an, alors que prenait du corps la perspective de le voir privilégier le Tour d’Italie sur celui de France. « Le pays, la mentalité des gens, la très belle langue que je voudrais apprendre ; et les courses, ce sont les plus belles, celles où il y a le plus de ferveur », avait répondu Pinot, un œil sur l’arrivée du Giro - au sprint, ce jour-là.

« Thibaut court à l’italienne plus qu’à la française »

La presse italienne, toujours dans l’attente d’une première victoire des siens - du jamais vu -, bade ce champion qui ressemble au sien, Vincenzo Nibali, par son impétuosité et son mépris des calculs d’épiciers. Jeudi 18 mai, Pinot a eu les honneurs de Processo alla tappa, l’émission d’après-course de la Rai, où il a pu exhiber le tatouage au revers de son bras droit, « Solo la vittoria è bella » (« Seule la victoire est belle », en italien).

Le Français n’a pas encore atteint son but. Depuis le départ, il a occupé, à l’arrivé des étapes, toutes les positions du top 6, sauf la première. Quant au classement général, il pointe à la troisième place à trois minutes et 21 secondes du maillot rose Tom Dumoulin, et intercalé entre Nairo Quintana et Vincenzo Nibali. En position de monter sur le podium final, objectif initial, alors que se présente une traversée des Alpes démentielle, à même de tout chambouler.

Pinot y trouvera un terrain à sa convenance et, peut-être, une physionomie de course débridée, loin des étapes ennuyeuses du Tour de France lors desquelles il perd de l’influx nerveux à force de frotter en tête de peloton. La situation au classement de Vincenzo Nibali et Nairo Quintana, venus pour gagner et rien d’autre, laisse augurer d’opérations de grande envergure, avec feux d’artifice à l’heure de la sieste.

« Thibaut a un tempérament qui le fait courir à l’italienne plus qu’à la française, de façon très spontanée, apprécie Steve Morabito, le sherpa de Pinot sur ce Giro. Il court au ressenti, il accepte sa fougue, chose qui a tendance à se perdre avec la domination des Anglo-Saxons, qui font plus de calculs. C’est ce que les Italiens apprécient chez lui. »

La campagne en faveur de Pinot avait commencé dès février dans la presse italienne, la Gazzetta dello Sport louant « un coureur spectaculaire, qui ne court pas pour les places, qui n’a pas peur du mauvais temps ni du froid, et donne la meilleure interprétation du respect que le champion doit au public : le divertir. »

Thibaut Pinot contre derrière Vincenzo Nibali, entre Florence et Bagno di Romagna, le 17 mai. | LUK BENIES / AFP

« Ici, je suis serein, je dors mieux »

Ce qui a attiré Pinot sur le Giro, ce sont autant le souvenir des courses qui l’ont révélé - Tour du Val d’Aoste (2009), Semaine Lombarde (2011) - que le parfum de la tranquillité. « Ici, je suis serein, je dors mieux », disait, lors de la première journée de repos, celui qui avoue faire des nuits blanches avant le départ du Tour de France.

Loin du mur de caméras qui se présente devant le bus de la FDJ, son équipe, après chaque étape, le Français n’a que l’interview quotidienne de La Chaîne L’Equipe, diffuseur de la course, à satisfaire.

Julien Pinot, son entraîneur, assure pourtant ne pas voir de différences entre la version Tour et la version Giro de son frère. La clé, dit le seul à la FDJ qui le connaît vraiment, « c’est la confiance, la dynamique et la fraîcheur ». Il a tout ça. « Et cette grosse motivation qui fait que le Giro, c’est la course qu’il avait vraiment, vraiment envie de faire. » Sous-entendu (mais le clan Pinot ne le dira pas) : le Tour de France peut vite tourner à la corvée, et la mécanique du Français peut se dérégler s’il doit aller contre sa volonté.

Lorsqu’il avait annoncé, en décembre dernier, avoir définitivement opté en faveur du Giro en 2017 - même s’il sera aussi au départ du Tour, - celui qui craint plus que tout l’usure mentale avait mis en avant le besoin « physique et mental de casser la routine, de voir autre chose ».

« Au Tour, vous êtes dans un zoo, au Giro dans un musée »

Autre différence : l’environnement immédiat des coureurs est un peu moins défiguré par le Giro que par le Tour et ses innombrables sponsors. « Le cadre est plus humain, ces départs sur ces petites placettes anciennes… Le Tour, c’est une grande foire : il y a tellement de monde qu’on a parfois l’impression d’être des bêtes de cirque », poursuit Julien Pinot.

L’expérimenté Suisse Steve Morabito, qui connaît les deux Grands tours par cœur, juge aussi l’ambiance plus épanouissante pour les coureurs en Italie : « Au Tour, vous avez l’impression d’être dans un zoo : le coureur est l’animal auquel on jette des cacahuètes. Sur le Giro, on a plutôt l’impression d’être dans un musée : les gens viennent regarder les tableaux. D’ailleurs, il y a peu de barrières car les gens sont passionnés mais respectent les coureurs. La passion, c’est une maladie que les cyclistes aiment bien voir. »

Question atmosphère, Thibaut Pinot est donc servi. Enfin, pas tout à fait : lui qui rêvait d’attaquer sous la pluie ou grimper entre des murs de neige dispute l’un des Tours d’Italie les plus secs et chauds de ces dernières années. Et aucune dépression n’est annoncée sur les Alpes orientales cette semaine. Quelle que soit pour lui l’issue du Giro, il faudra donc revenir.