La pratique de l’islam (ici à Kashgar) fait l’objet d’une répression de plus en plus nette de la part du pouvoir chinois, et les campagnes contre le port du voile ou la construction de mosquées se multiplient. | Mathias Depardon

C’est un paysage aride de maisons en pisé, de minarets, d’hommes qui se préparent à la prière. On pourrait se croire en Turquie. Il s’agit de la Région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine populaire, aux confins de l’Asie centrale. Turcophones et musulmans, les quelque dix millions de Ouïgours y représentent 45 % de la population, contre 40 % pour les Hans, l’ethnie majoritaire du pays, en progression constante dans ces zones de repeuplement par des migrants chinois en quête de nouveaux territoires.

Les « vieux Turcs » du Xinjiang

Le photographe français Mathias Depardon, 36 ans, basé en Turquie, s’est rendu au printemps 2016 à la rencontre de ceux que les Turcs appellent les eski türk (« vieux Turcs »), cousins éloignés du temps des caravanes. C’était son premier voyage en Chine. Il a parcouru le chapelet d’oasis du sud du désert du Takla-Makan, qui va de Hotan à Kashgar, là où les Ouïgours forment encore plus de 80 % de la population. Depuis 2011, une ligne de train relie les deux villes.

Le photographe fut suivi par des policiers en civil et photographié à plusieurs reprises. Son téléphone portable se retrouva bloqué après un appel sur Facebook via un VPN. S’il a braqué son objectif sur les Ouïgours, certaines photos laissent apercevoir le contrechamp : les quartiers centraux qui ressemblent à des villes de l’intérieur de la Chine. Les chantiers de nouvelles infrastructures. Cette place de l’Unité, au centre de Hotan, où Ouïgours et Chinois han dansent chacun de leur côté, non loin de la statue de Mao et d’Oncle Kurban, un Ouïgour rallié aux communistes. Autour, des unités paramilitaires chinoises que le photographe a préféré ne pas capturer pour ne pas attirer l’attention.

Dix millions de Ouïgours, 45 % de la population du Xinjiang

Le Xinjiang est traversé de vives tensions. Dans les zones au sud du Takla-Makan, les coups de force et les actes de violence parfois fatals contre des symboles de l’Etat chinois ou des migrants han sont routine. Certains sont d’inspiration djihadiste. Mais la riposte des forces spéciales est souvent disproportionnée.

Les Ouïgours s’estiment chez eux, dépositaires de traditions et d’un mode de vie qui leur est propre (ils pratiquent un islam sunnite de rite hanafite, influencé par le soufisme). L’Etat policier chinois s’évertue, lui, à neutraliser dans l’œuf toute revendication ethno-nationaliste, qu’elle soit le fait d’intellectuels laïcs et progressistes – comme l’universitaire Ilham Tohti, condamné en 2014 à la réclusion à perpétuité pour avoir critiqué les politiques chinoises au Xinjiang –, ou le produit de l’islamisme radical. Ce soupçon permanent à l’encontre du « séparatisme, du fondamentalisme et du terrorisme », les trois grands maux dont la propagande chinoise affuble le Xinjiang, nourrit un cercle vicieux de récriminations vis-à-vis des autorités.

Les imams, l’accès aux mosquées, l’enseignement du Coran, le port du voile par les femmes et de la barbe par les hommes, ou encore les pèlerinages à La Mecque font l’objet de toutes sortes de restrictions perçues comme intrusives et humiliantes par les Ouïgours : pour les ONG de la diaspora ouïgoure en exil, elles ont « rétréci la définition d’une activité licite » au point de mettre hors la loi nombre de pratiques religieuses traditionnelles et inoffensives. La difficulté pour obtenir un passeport – qui nécessite une kyrielle d’autorisations administratives – est vécue comme discriminatoire. L’exil clandestin a donc tenté ces dernières années des milliers de Ouïgours, partis en famille, jusqu’en Turquie – et pour certains en Syrie.

Mathias Depardon, qui a photographié avec talent les pourtours de la mer Noire, l’Azerbaïdjan et la Tunisie du « printemps arabe », s’est promis de consacrer à ces Ouïgours de l’exil un de ses futurs projets. Un reportage qu’il n’est pas sûr de pouvoir mener à bien prochainement. Le photographe a été arrêté lundi 8 mai par les autorités turques alors qu’il travaillait dans le Sud-Est du pays, non loin de la frontière syrienne. Comme d’autres journalistes étrangers avant lui, il pourrait être expulsé. Depuis le coup d’Etat manqué en juillet 2016, les conditions de travail ne cessent de se dégrader en Turquie pour la presse.