YASIN AKGUL / AFP

Pour protester contre l’arrestation de deux membres de sa rédaction, le journal d’opposition turc Sözcü a publié, samedi 20 mai, une édition spéciale de sa version papier, dont une bonne partie a été laissée vide.

La « une » de « l’édition spéciale pour la liberté de la presse du 19 mai » était barrée de ce seul titre. Le reste était vierge, avec uniquement, au pied de colonnes vides, les noms des journalistes poursuivis. Sur son site, le quotidien dit avoir vendu « des centaines de milliers d’exemplaires » de ce numéro et promet de continuer à travailler « avec les valeurs kémalistes qui sont celles [du] journal », complétant ce mot, adressé autant à son public qu’au pouvoir, par des messages de soutien et des photos de ses lecteurs posant avec la « une vierge ».

Les mandats d’arrêt émis par la justice turque le 19 mai visaient :

  • le propriétaire de Sözcü, Burak Akbay, actuellement à l’étranger, selon l’agence de presse officielle Anatolie ;
  • son directeur financier, Yonca Kaleli ;
  • la rédactrice en chef du site, Mediha Olgun, qui a été arrêtée le 19 mai ;
  • le reporter Gokmen Ulu, également arrêté le 19 mai.

Ils sont tous accusés par la justice d’avoir des liens avec le mouvement du prédicateur musulman Fethullah Gülen, que le régime du président Reccep Tayyip Erdogan accuse d’avoir ourdi le coup d’Etat raté de juillet 2016. Parmi les chefs d’accusation à leur encontre, selon Associated Press (AP), la justice a retenu « rébellion armée contre le gouvernement turc » et « tentative d’assassinat contre le président », en raison d’un article, publié le 15 juillet, donnant l’endroit où se trouvait M. Erdogan quelques heures avant le début du putsch mené par une partie de l’armée.

« Nous ne resterons pas silencieux »

Depuis la mise en œuvre de l’état d’urgence, en juillet 2016, le gouvernement et la justice ont pris des mesures visant officiellement à débusquer de présumés traîtres cachés au sein de l’appareil d’Etat, mais qui ont eu des répercussions dans toute la société :

Les autorités nient régulièrement toute atteinte à la liberté de la presse et affirment, comme cela a encore été le cas pour Sözcü, que les seuls journalistes arrêtés sont ceux liés à des « organisations terroristes », expression désignant le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le réseau güléniste, le DHKP-C (Front révolutionnaire de libération du peuple), un groupuscule terroriste d’extrême gauche.

C’était également le prétexte de l’arrestation, le 12 mai, du rédacteur en chef du site Internet d’un autre grand quotidien d’opposition, Cumhuriyet. Auparavant, une vingtaine de collaborateurs de ce journal avaient été arrêtés, dont le dirigeant, Akin Atalay, le rédacteur en chef, Murat Sabuncu et le journaliste Ahmet Sik. Ils risquent entre sept ans et demi et quarante-trois ans de prison.

Plusieurs organisations professionnelles, dont le Conseil de la presse de Turquie et l’Association des journalistes turcs, ont réagi par communiqué au cours du week-end.

  • Les premiers ont accusé le régime d’avoir procédé à ces arrestations précisément le 19 mai, jour férié commémorant notamment un appel à la résistance par Mustafa Kemal Ataturk, pour envoyer un message clair à l’opposition : « Nous comprenons que nous faisons face à un nouveau type d’oppression des journalistes. »
  • Les seconds ont écrit : « Le fait que des journalistes doivent constamment faire face à des arrestations bloque les canaux d’information du pays. Nous annonçons au public notre solidarité avec la rédaction de “Sözcü”. »

Ou, comme le formule à AP le journaliste d’investigation de Sözcü, un vétéran qui a connu son lot de problèmes avec le gouvernement :

« Voilà ce qui arrive à l’opposition en Turquie. C’est ce qui va arriver à tous les journaux d’opposition, mais nous n’abandonnerons pas et nous ne resterons pas silencieux. »