Le réalisateur Fellipe Gamarano Barbosa à Cannes, le 20 mai 2017. | STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Semaine de la critique

En 2014, on découvrait le Brésilien Fellipe Gamarano Barbosa avec Casa Grande, une fine étude de mœurs au sein de la haute société carioca, doublée d’un examen sensible des rapports de classes et de sentiments entremêlés. Pour son deuxième long-métrage de fiction, le cinéaste retrace un fait divers de 2009, ayant connu un certain retentissement au Brésil, et dont le principal protagoniste était l’un de ses amis d’enfance.

Gabriel Buchmann, étudiant en économie, fut porté disparu, puis retrouvé mort sur le mont Mulanje, au Malawi, au terme d’un long voyage de plus d’un an à l’étranger. Le film ne fait aucun mystère de ce décès ni ne spécule sur sa révélation, puisqu’il s’ouvre sur un long et majestueux plan-séquence, où des paysans locaux, au cours d’une cueillette, tombent sur le cadavre, disposé sous une grotte, du jeune homme blanc que les secours avaient désespéré de jamais retrouver. La mort ainsi mise en exergue s’affirme comme l’origine et la destination d’un récit charpenté comme un « tombeau » à la mémoire de son personnage.

Un lutin candide

La suite du film retrace les 70 derniers jours de la vie de Gabriel et se partage selon les différents pays d’Afrique que celui-ci a traversés (Kenya, Tanzanie, Zambie et Malawi). Le personnage est d’abord présenté comme un idéaliste forcené, venu étudier sur place la pauvreté, cherchant un rapport humain avec les villageois dont il croise la route, s’invitant chez eux, participant aux tâches quotidiennes, adoptant vêtements et mœurs de ses hôtes. Cela se répercute dans son attitude enjouée, son pas sautillant, son entregent sans détour ni précaution, qui font de lui une sorte de lutin candide, gambadant à travers l’Afrique comme on replonge en enfance.

Gabriel veut dépasser son statut de touriste occidental, pour rejouer à chaque carrefour l’épiphanie de la rencontre avec son prochain, se signalant par son incroyable facilité à nouer des liens. La première partie se déploie ainsi magnifiquement, tel un registre affectueux de l’hospitalité réciproque et de l’amitié confiée, avec une douceur de mise en scène et une tendresse de regard bouleversantes. Pour cela, Barbosa a confronté son casting brésilien aux habitants qui avaient jadis hébergé ou guidé Gabriel Buchmann dans son périple, dans un alliage subtil de fiction et de documentaire.

Caroline Abras et João Pedro Zappa dans le film brésilien et français de Fellipe Gamarano Barbosa, « Gabriel et la montagne » (« Gabriel e a montanha »). | VERSION ORIGINALE DISTRIBUTION/CONDOR

Barbosa a confronté son casting brésilien aux habitants qui avaient jadis hébergé ou guidé Gabriel Buchmann dans son périple

Cette naïveté du personnage itinérant se révèle peu à peu dissimuler une négation morbide de sa vraie nature, de ses origines bourgeoises comme de son bagage intellectuel. Gabriel cherche peut-être moins à rencontrer l’autre qu’à disparaître dans le paysage, à s’évanouir, à s’évaporer. Sa distance économique d’avec les locaux revient par la bande, à mi-parcours, dès lors que sa petite amie le rejoint sur place : leurs discussions sur les modèles économiques, leur train de vie, leur habitude d’être servis les renvoient violemment à leur indéfectible condition de touristes.

Le plus étonnant, dans cette odyssée élégiaque, nimbée d’un mystère latent, tient à ce que la marche de son héros consiste, pour celui-ci, à se dépouiller progressivement de tout – de ses papiers, du peu d’argent qu’il lui reste, de ses attributs vestimentaires – et à mettre en quelque sorte son âme à nu. Plus il approche du terme de sa course (le mont Mulanje, réputé dangereux), plus il se montre empressé, pris d’une impatience frénétique qui le conduit bientôt à rudoyer ses compagnons. Gabriel, plus ambivalent, plus isolé qu’il n’y paraissait, se précipite vers l’inconnu, vers un sommet rocheux devenu pic métaphysique, comme une sortie possible hors du monde et hors de lui-même, qu’il semblait depuis toujours appeler de ses vœux.

Extrait GABRIEL E A MONTANHA de Fellipe Gamarano Barbosa avec sous-titres français

Film brésilien et français de Fellipe Gamarano Barbosa avec Joao Pedro Zappa, Caroline Abras (2 h 07). Sortie en salles le 16 août. Sur le Web : www.vo-st.fr/distribution