Cannes 2017 : la beauté sombre du « Jour d’après » de Hong Sang-soo
Durée : 03:14

Sélection officielle – en compétition
Sélection officielle – hors compétition

Quel est le secret de Hong Sang-soo et de cette folle productivité qui prend tous les grands festivals de vitesse, au point d’avoir placé deux nouveaux films dans cette seule Sélection officielle, trois mois seulement après avoir présenté On the Beach at Night Alone à la Berlinale ? Voilà de quoi donner le vertige. Car l’attrait de ce cinéma, qu’on qualifie volontiers de minimaliste, ne tient pas tant à la répétition d’une formule bien rodée qu’à une certaine fascination éprouvée devant la cohérence et la familiarité qui se dégagent de l’enchaînement si rapide des films. Si bien que ce sont moins leurs qualités relatives qui finissent par compter que la façon dont ils s’intègrent dans l’œuvre, la reformulent, la recolorent, comme autant de touches de peinture successives.

L'actrice sud-coréenne Kim Min-hee à Cannes, le 20 mai 2017. | STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Le Jour d’après, qui connaît de nouveau les honneurs de la compétition, cinq ans après In Another Country (2012), et La Caméra de Claire, présenté en séance spéciale, ouvrent deux nouveaux volets en miroir sur cette œuvre atypique, et persistent à examiner les comportements amoureux dans ce qu’ils contiennent de plus incertain. Si les deux films partagent une même actrice (la talentueuse Kim Min-hee), leur réunion met autant en évidence la symétrie de leurs structures – un homme pris entre deux femmes et une troisième en témoin extérieur – que leur complète inversion de ton : le premier est nocturne, douloureux, tourmenté, photographié en noir et blanc, quand le second est lumineux, solaire, printanier, tourné dans des couleurs chaudes. Ils ne s’en révèlent pas moins aussi bouleversants l’un que l’autre, mais chacun à leur manière.

Kwon Hae-hyo dans le film coréen de Hong Sang-soo, « Le Jour d’après » (« Geu-hu »). | CAPRICCI/LES BOOKMAKERS

Noirceur terminale

Le Jour d’après, profondément déchirant, ouvrant sur de véritables abîmes existentiels, marque une inflexion parmi les livraisons récentes du cinéaste, de par sa noirceur et son inquiétude vissée au corps. Bongwan (le formidable Kwon Hae-hyo), homme d’âge mûr et éditeur réputé, se fait réprimander par sa femme qui lui reproche de s’éclipser du domicile conjugal à des heures indues. Il se morfond dans le souvenir de Changsook (Kim Saebyuk), son assistante, avec laquelle il entretenait une liaison tumultueuse, mais qui vient de le quitter. Areum (Kim Min-hee), la jeune stagiaire engagée pour la remplacer, essuie les foudres de l’épouse, qui débarque sans crier gare dans les bureaux et la prend par erreur pour sa rivale.

On est d’abord soufflé par les effusions d’une violence inaccoutumée qui, à plusieurs reprises, déchirent les personnages : Bongwan qui, au bas de son bâtiment, fond en larmes ; Changsook qui s’étrangle de colère et de désespoir, traitant Bongwan de lâche lors d’un dîner trop arrosé. Les êtres s’agrippent, se froissent, s’écroulent littéralement sur eux-mêmes, au son récurrent d’une ritournelle écœurée. Pour une fois, Hong Sang-soo n’invente aucun dispositif de variation narrative, mais laisse son quartet amoureux errer dans une temporalité flottante et filandreuse, où l’on ne sait jamais bien quelle durée s’est écoulée entre chaque plan. Aux montagnes russes des échanges filés, souvent cruels, succèdent des trouées solitaires, où Bongwan marche dans une nuit sans fin et sans extériorité, à travers des coins de rues déconnectées. Ce que le film observe, et qui remue le cœur, c’est la complète dissolution du héros masculin, terrassé par sa velléité amoureuse, figé dans son impossibilité ontologique de trancher entre le confort de l’amour et la houle du désir, et ce jusqu’au complet effacement de lui-même.

Kim Min-hee et Isabelle Huppert dans le film coréen de Hong Sang-soo, « La Caméra de Claire » (« Keul-le-eo-ui Ka-me-la »). | JOUR2FÊTE

« Comique de traduction »

En regard de cette âpreté, La Caméra de Claire, tourné à la volée dans les rues de Cannes pendant l’édition 2016 du Festival, et profitant ainsi de la présence d’Isabelle Huppert, pourrait passer pour plus frivole. Bien au contraire, le film rayonne d’une grâce et d’une légèreté infiniment harmonieuses et d’une seule coulée. Il reprend le motif du trio amoureux, mais cette fois décentré à l’étranger, sur la Croisette, au sein d’un contingent de festivaliers coréens (un réalisateur et deux vendeuses, l’une jeune et l’autre plus âgée). Claire (Huppert, que le cinéaste retrouve pour la seconde fois), venue en dilettante, circule entre ces trois personnages et les prend à tour de rôle en photo, grâce à l’appareil qu’elle trimballe toujours avec elle. Ces clichés, purs objets transitifs, aident les Coréens à comprendre l’évolution à distance des relations qui les lient mutuellement.

Lire le récit : Un Festival de claps

D’une simplicité exemplaire, le film joue sur un comique « de traduction », qui accentue l’effort de communication entre les différents personnages. Celui d’Isabelle Huppert, extraordinaire, s’apparente à une petite fée, qui apparaît et disparaît d’un coin à l’autre de la ville, dénoue les situations, révèle chacun à lui-même. Cannes et ses murs jaunes sont filmés comme un enchevêtrement de passages secrets et de voies croisées, où l’on tombe sans cesse les uns sur les autres. La beauté du film tient au grand cas qu’il fait du regard : non seulement Claire prétend que ses photos transforment ses modèles, mais elle invite ces derniers à poser un regard différent sur le monde qui les entoure. « La seule façon de changer les choses, c’est de tout regarder à nouveau très longtemps », dit-elle. Une morale limpide et tenace, qui résume à merveille toute l’évidence et la sophistication mêlées du cinéma de Hong Sang-soo.

Le Jour d'Après - Bande Annonce [VOST]

LA CAMÉRA DE CLAIRE Bande Annonce (Isabelle Huppert - Cannes 2017)

Le Jour d’après et La Caméra de Claire. Films sud-coréens de Hong Sang-soo avec Kim Min-hee, Kwon Hae-hyo, Kim Saebyuk, Cho Yun-hee, Isabelle Huppert, Chang Min-hee, Jeong Jin-young (1 h 32 et 1 h 09). Sorties en salles prochainement. Sur le Web : www.capricci.fr/le-jour-apres-2017-hong-sang-soo-420.html et www.jour2fete.com/distribution/la-camera-de-claire