A Manchester, le 23 mai. | BEN STANSALL / AFP

Editorial du « Monde ». Peu après l’attentat de Manchester, lundi 22 mai, la première ministre britannique a eu les mots justes. « Nous luttons pour comprendre le cerveau perverti et dérangé qui a considéré qu’une salle remplie de jeunes enfants n’était pas un lieu attendrissant mais une occasion de commettre un carnage », a dit Theresa May. Car tel était bien l’objectif poursuivi par Salman Abedi, le Britannique d’origine libyenne, âgé de 22 ans, qui a fait exploser une charge artisanale à la sortie d’une salle de concert : tuer le plus grand nombre possible d’enfants. C’était sur le sol de la Grande-Bretagne, mais c’est une tragédie européenne.

Tous les détails comptent dans cet attentat, le plus grave perpétré outre-Manche depuis juillet 2005. Le lieu, d’abord : la Manchester Arena, qui peut contenir plus de 20 000 personnes, est la plus grande salle de la métropole du nord-ouest de l’Angleterre. Le public, ensuite : des fillettes avec leurs parents, des adolescentes venues applaudir une de leurs idoles, l’Américaine Ariana Grande, jeune star du R’n’B. L’heure, enfin : 22 h 30, le moment de la bousculade de fin de concert, quand le public s’agglutine vers l’une des sorties communiquant directement avec la gare, où nombre de parents étaient venus récupérer leurs enfants.

On compte vingt-deux morts, dont le plus jeune est une fillette de 8 ans. Il y a des dizaines de blessés – mutilés à vie, traumatisés, orphelins. Abedi est mort en actionnant sa bombe artisanale. Il était né à Manchester dans une famille qui a fui la dictature du colonel Kadhafi dans les années 1980. On ne sait pas s’il appartenait à un réseau djihadiste, mais Scotland Yard n’exclut aucunement cette hypothèse. Il était surveillé, parmi plus de 3 000 suspects d’islamisme militant, mais pas considéré comme particulièrement dangereux.

Un profil d’attaque bien répertorié en Europe

L’attentat a été revendiqué par l’organisation dite Etat islamique. Tout, ici, répond à un profil d’attaque bien répertorié en Europe (et aux Etats-Unis). Un lieu de loisirs est visé, un lieu typique du mode de vie occidental en ce premier tiers du XXIe siècle, tout ce qu’abhorrent les islamistes. L’auteur était vaguement surveillé, mais apparemment pas soupçonnable de passage à l’acte terroriste. La Manchester Arena faisait l’objet de contrôles renforcés.

Comment prévenir ? Toute l’Europe est concernée, la France en sait quelque chose. Contrairement aux balivernes racontées par les partisans du Brexit au printemps dernier, ce n’est pas l’immigration intra-européenne, celle de l’espace sans frontières de Schengen (dont la Grande-Bretagne n’a jamais fait partie), qui est responsable ; pas plus que celle venue de la Syrie ou de l’Irak en guerre ; encore moins les « hordes » de Turquie fantasmées par l’irresponsable brexiter Boris Johnson.

La première réaction des services de l’anti­terrorisme des deux côtés de la Manche a été la même : le Brexit ne doit en aucun cas altérer les efforts de coopération policière poussée menés au sein de l’Union européenne. Manchester, Londres, Paris, Berlin, Stockholm : la tragédie est commune. Elle est celle de la radicalisation d’une minorité de jeunes musulmans nés en Europe et qui, « cerveaux pervertis et dérangés », basculent dans le terrorisme. Elle est celle de la perméabilité de ce milieu à la rhétorique islamiste venue d’Arabie saoudite ou du Pakistan.

La chute des places fortes de l’EI, en Syrie comme en Irak, ne changera pas fondamentalement cette question, qu’il vaut mieux aborder ensemble que séparément.