La Volksbühne en 2008 | Alex 1011

Une page de l’histoire culturelle de Berlin est en train de se tourner. Qui aurait pu imaginer que le programme de la Volksbühne, scène mythique de la capitale allemande, édifiée par l’architecte Oskar Kaufmann en 1914 et située à l’est du Mur pendant la guerre froide, serait un jour dévoilé dans l’ancien aéroport de Tempelhof, devenu l’un des lieux de mémoire de Berlin-Ouest depuis le fameux pont aérien de 1948-1949, mais d’où plus aucun avion ne décolle depuis 2008 ?

C’est à cette petite révolution qu’une centaine de journalistes ont assisté, mardi 16 mai, dans le restaurant désaffecté de cet aéroport qui n’en est plus un. Face à eux, la nouvelle équipe de la Volksbühne, à commencer par son nouveau directeur, Chris Dercon, qui était depuis 2011 le patron de la Tate Modern, à Londres, et dont la première production en tant que nouvel intendant se jouera à quelques mètres de là, le 10 septembre, sur l’ancien tarmac : Fous de danse – Ganz Berlin tanzt auf Tempelhof (Tout Berlin danse à Tempelhof), un spectacle de dix heures réalisé par le chorégraphe français Boris Charmatz et auquel le public sera appelé lui-même à participer.

Le choix de nommer pour la première fois un curateur et non un metteur en scène pour diriger la Volksbühne avait provoqué une âpre controverse.

C’est peu dire que cette première rencontre avec la presse était attendue. Au printemps 2015, le choix du gouvernement de Berlin de nommer pour la première fois un curateur et non un metteur en scène pour diriger la Volksbühne avait provoqué une âpre controverse. Beaucoup y ont vu la fin d’une époque, pas seulement parce que cette nomination mettait un terme au mandat de Frank Castorf, nommé en 1992 à la tête de l’institution, mais aussi parce que le parcours de son successeur, sa volonté d’internationaliser la programmation et son credo en faveur de l’interdisciplinarité ont été vus par ses détracteurs comme l’entrée dans une nouvelle ère moins exigeante d’un point de vue artistique, plus préoccupée par la rentabilité financière.

Pour ce premier contact avec la presse, Chris Dercon avait soigné ses effets, commençant par une forme d’autocritique : « J’ai sous-estimé la situation politique et l’état de l’opinion dans la ville, et cela m’a amené à avoir des mots malheureux ». Il a poursuivi par une ode enflammée à la Volksbühne, « laboratoire de l’avant-garde » : « quand on m’a appelé pour la diriger, je ne pouvais pas dire non ». Pour finalement se mettre assez judicieusement en retrait en comprenant, en fin politique, qu’il avait tout intérêt à laisser ses nouveaux collaborateurs présenter eux-mêmes le programme de la nouvelle saison afin d’alimenter le moins possible le débat sur sa propre personne. A commencer par Marietta Piekenbrock, sa directrice de la programmation, venue de la direction de la Ruhrtriennale.

Exercice de charme

Dans cet exercice de charme, la nouvelle équipe de la Volksbühne s’est surtout efforcée de trouver un équilibre entre la nouveauté et la continuité. La nouveauté, avec notamment l’investissement du Hangar n°5 de l’aéroport de Tempelhof, où la danse aura la première place. La nouveauté, encore, avec l’accent mis sur les arts vidéo et multimédia, auquel un nouvel espace sera dédié. Mais aussi une forme de continuité, marquée par le fait que 206 employés sur 227 resteront à leur poste, que la direction musicale sera toujours assurée par Christian Morin et que la programmation du « Salon Rouge », consacrée aux événéments littéraires, restera pilotée par Sabine Zielke.

Pour cette première rencontre, la presse s’est montrée assez partagée. « Dercon voit grand », a titré la Süddeutsche Zeitung, mettant l’accent sur la « nervosité » palpable de la nouvelle équipe. « Sur le plan artistique, Dercon a annoncé peu de surprises », a constaté le Tagesspiegel. Assez emblématique de cette ambivalence est le commentaire très personnel publié par Katrin Bettina Müller dans le Tageszeitung. Dans cet article, la critique théâtrale salue d’un côté les artistes mis en avant dans la nouvelle Volksbühne, parmi lesquels Boris Charmatz, Susanne Kennedy, Mette Ingvartsen, Romuald Karmakar, Jérôme Bel et Tino Sehgal, qui ouvrira la saison avec des pièces en un acte de Samuel Beckett, dans la salle historique de la place Rosa-Luxemburg. Katrin Bettina Müller n’en déplore pas moins le départ des metteurs en scène qui ont marqué l’institution ces dernières années (René Pollesch, Herbert Fritsch, Christoph Marthaler, Frank Castorf). Surtout, elle dit son malaise à l’égard des « grands mots » employés par Chris Dercon et Marietta Piekenbrock pour « habiller leurs projets », un « vocabulaire aux accents missionnaires qui donnent l’impression que le public berlinois va devoir venir accompagné d’un ABC du théâtre »...