Les facteurs vont désormais devoir rendre visites aux personnes âgées qui souscrivent au service payant de La Poste. | AXELLE DE RUSSÉ / « LE MONDE »

Quatre fois par semaine, Christine rend visite à Auguste, 94 ans. Elle prend de ses nouvelles, s’enquiert de ses besoins, s’assure qu’il va bien. Après une dizaine de minutes et un formulaire rempli, elle repart dans sa voiture jaune. Christine est factrice depuis treize ans. Depuis deux mois, cette quinquagénaire d’Eure-et-Loir assure le nouveau service à destination des personnes âgées assuré par La Poste, Veiller sur mes parents (VSMP). Disponible dans l’ensemble du pays depuis le 22 mai, il est proposé depuis quelques mois dans certaines régions pilotes, comme les Pays de la Loire.

C’est Mireille, la fille d’Auguste, qui a souscrit ce service. « Je cherchais quelque chose qui me sécurise », explique cette femme de 68 ans vivant à une soixantaine de kilomètres de son père. Hantée par l’idée que ce dernier chute, elle n’a pas hésité. « Le fait que ça soit La Poste a beaucoup compté dans mon choix, assure-t-elle. J’ai plus confiance [en Christine] que dans une aide à domicile. Avant d’ajouter : Elle allait déjà lui parler avant, mais elle entrait moins souvent. Là, c’est un service payant qu’elle est obligée de faire. »

Formation et habilitation

« VSMP fait partie des missions des facteurs et rentre dans le cadre de leur tournée », explique Eric Baudrillard, directeur des services aux particuliers de La Poste. Après une première formation d’environ trois heures et une « habilitation », les postiers peuvent rendre visite à des personnes âgées pour « s’assurer qu’elles vont bien ». Moyennant 39,90 euros à 139,90 euros par mois, ils se déplacent une à six fois par semaine au domicile de la personne âgée. Et, en cas d’urgence, elle bénéficie d’un service de téléassistance, assuré par un sous-traitant, disponible à toute heure du jour et de la nuit.

Veiller sur mes parents fait partie de la stratégie de diversification de La Poste pour faire face à la baisse de l’activité d’acheminement du courrier. Ce service est un prolongement de Cohésio, prestation en place depuis 2014 qui propose des visites chez les personnes âgées. Alors que Cohésio était commandé par des collectivités, ce sont les particuliers qui souscrivent à VSMP.

Si moins d’une centaine de personnes sont bénéficiaires du service à travers le pays, quelque 40 000 facteurs (sur les 73 000 que compte le groupe) ont été formés, selon Eric Baudrillard. « Ils sont engagés, enthousiastes et impatients », assure-t-il, tout en disant s’appuyer sur une enquête interne menée auprès de 500 facteurs.

« Nous ne sommes pas infirmiers »

Du côté des syndicats, l’analyse est différente. Certains s’interrogent sur la nature du service proposé. « On marchandise quelque chose qu’on faisait gratuitement. Or tout le monde ne pourra pas le payer », déplore Pascal Frémont, facteur en Loire-Atlantique et délégué syndical SUD-PTT.

Les syndicats s’inquiètent également du fait que ce nouveau service, obligatoire pour les facteurs, ne donne pas lieu à une rétribution supplémentaire et que leur tournée ne soit pas aménagée de façon à laisser plus de temps. Sur ce point, Eric Baudrillard rappelle que La Poste a promis d’embaucher environ 3 000 facteurs d’ici à la fin de l’année.

« Nous ne sommes pas infirmiers. Que se passe-t-il si on dit que la personne va bien et que ce n’est pas le cas ? », interroge par ailleurs Pascal Frémont. Pour Jérôme Pellissier, docteur et chercheur en psychogérontologie, ce service n’est pas anodin : « Il ne faut pas que le facteur passe à côté de quelque chose d’important, mais il ne doit pas non plus surinterpréter un symptôme et donner l’alerte pour rien. »

Du côté de La Poste, on assure que les facteurs ne sont pas là pour « effectuer un diagnostic médical, mais simplement pour retranscrire un besoin exprimé par la personne ». La formation de plusieurs heures est prévue pour leur permettre d’estimer ces besoins.

« S’il tient debout, tu dis qu’il va bien »

Pourtant, certains assurent ne pas avoir été formés. C’est le cas de Nicolas (le prénom a été modifié), 36 ans, à La Poste depuis quinze ans. Il a dû rendre visite pour la première fois, à la fin de 2016, à une personne âgée dans le cadre de Cohésio (pour lequel les facteurs étaient aussi censés suivre une formation). Il se rappelle la situation dans laquelle il s’est retrouvé : plutôt « mal à l’aise », il a rempli le formulaire avec le client, mais dans la partie qui lui était réservée, quand il a fallu mentionner si la personne allait bien, il n’a pas inscrit de réponse. « Je ne suis pas médecin, comment savoir ? Du coup, j’ai été convoqué et j’ai écopé d’un blâme », témoigne-t-il. Quand il s’en est plaint à sa cheffe, elle lui a rétorqué : « S’il tient debout, tu dis qu’il va bien. »

Consterné, le facteur soupire. « Ils sont prêts à tout pour faire du chiffre, pour Veiller sur mes parents, c’est pareil, c’est la nouvelle logique. » Aujourd’hui, Nicolas assure que s’il doit visiter des personnes âgées, il le fera car il « n’a pas le choix », mais il affirme que les conditions de travail sont « intenables ».

Christine, qui visite Auguste depuis quelques mois, assure, quant à elle, avoir bénéficié d’une formation sur Internet, « très utile ». Cette dernière est mise au point par le Gérontopôle des Pays de la Loire, en partenariat avec La Poste. Pourtant, Christine aurait dû être formée plus longtemps et recevoir une habilitation, mais elle n’a pas souvenir de l’avoir eue. « La formation par Internet suffisait pour avoir les bons réflexes », avance-t-elle. Et puis la factrice préfère visiter Auguste, pour « garder le contact humain », que distribuer des catalogues. Même si aujourd’hui elle doit tout faire. « Il faut bien faire face », souffle-t-elle, résignée.